Après la grève pour demander entre autres la réduction de leur temps de travail à Chicago, il y a 133 ans, qui a donné lieu à la fête du Travail, le 1er mai, 2 milliards de travailleurs et travailleuses échappent encore à la réglementation en matière de temps de travail et de rémunération du surtemps. Les travailleurs de l’informel – qui constituent aujourd’hui la majorité de la main-d’œuvre mondiale – revendiquent les protections indispensables limitant leur temps de travail, ainsi que des services de garde d’enfants, les soins aux personnes âgées et les pensions sociales.
Le 1er mai, la fête du Travail, commémore le 1er mai 1896, lorsque des grévistes à Chicago, aux États-Unis, ont trouvé la mort en revendiquant une journée de travail de huit heures.
En ce jour fatidique, les travailleurs et travailleuses de Chicago ont prouvé que le temps de travail est au cœur non seulement du travail décent, mais aussi d’une vie digne. Les travailleurs de Chicago ont compris que le travail, sans temps libre, mène droit à la misère et à l’isolement social.
Depuis cette grève, celle de 1896, les travailleuses et travailleurs salariés luttent pour la réglementation de la durée du travail. Ce n’est pas un hasard si la Convention sur la durée du travail (industrie) de 1919 est le tout premier instrument mondial adopté par l’Organisation internationale du Travail. Par la suite, l’OIT a adopté bien d’autres conventions réglementant le temps de travail, y compris les heures de travail, les périodes de repos, le travail de nuit et les congés annuels.
Près de 80 % de tous les pays ont aujourd’hui des lois limitant la durée hebdomadaire du travail, y compris les heures supplémentaires.
Suivant les conventions de l’OIT, en particulier les directives sur le temps de travail, près de 80 % de tous les pays ont aujourd’hui des lois limitant la durée hebdomadaire du travail, y compris les heures supplémentaires, et 97 % des pays imposent une période minimale de congé annuel payé.
Ces victoires méritent d’être saluées, sauf que la réalité est que, et c’est là le problème, la réglementation du temps de travail s’applique à moins de la moitié des travailleurs et travailleuses dans le monde.
C’est-à-dire que 2 milliards de personnes se trouvent hors du cadre de la réglementation actuelle sur la journée de travail.
Dans la plupart des pays, la réglementation en la matière ne s’applique qu’aux travailleurs dont l’employeur est identifié et régulier.
Si nous ajoutons les travailleuses et travailleurs de l’informel, employés comme tels par un employeur du secteur formel, à tous les travailleurs pour compte propre ou indépendants, nous constatons que ce groupe composite représente 61 % de tous les travailleurs dans le monde. Cela représente deux milliards de personnes – un nombre stupéfiant – dont le temps de travail n’est réglementé d’aucune façon.
Cela représente deux milliards de personnes – un nombre stupéfiant – dont le temps de travail n’est réglementé d’aucune façon.
Selon le rapport du BIT, troisième édition, intitulé Femmes et hommes dans l’économie informelle : un tableau statistique, 86 % de tous les travailleurs en Afrique sont informels, dans les Amériques, ils sont 54 %, dans les États arabes, 69 %, dans la région Asie-Pacifique 71 % et en Europe et en Asie centrale 37 %.
Aucune région du monde, aucun pays, développé ou non, n’échappe au phénomène de l’emploi informel. Ces travailleurs et travailleuses apportent une contribution importante au PIB de la plupart des pays. Selon une étude réalisée en 2002 par le BIT, et à titre d’exemple, les entreprises informelles au Ghana représentaient 58 % du PIB et 24 % en Zambie.
Aucune région du monde, aucun pays, développé ou non, n’échappe au phénomène de l’emploi informel.
Cette contribution significative à l’économie nationale se fait toutefois au détriment de la santé et du bien-être de la plupart des travailleurs et travailleuses de l’informel, du fait qu’ils n’ont que peu de temps, s’il y en a, pour se reposer, se divertir ou participer à des activités sociales, y compris avec leur propre famille.
De longues heures de travail mettent en péril la santé et le bien-être des travailleurs et travailleuses.
Dans les pays en développement où la protection sociale sous la forme de garderies gratuites ou subventionnées, de soins aux personnes âgées et de pensions sociales est limitée ou inexistante, les charges que supportent les travailleurs de l’informel se trouvent exacerbées.
Les travailleuses et travailleurs de l’informel, contraints de travailler de plus en plus, sans repos, le font afin d’en tirer des revenus suffisants.
Les travailleuses et travailleurs de l’informel, contraints de travailler de plus en plus, sans repos, le font afin d’en tirer des revenus suffisants pour couvrir les frais des soins et réaliser des économies en vue de la vieillesse. Ce n’est pas un « choix » si l’on doit travailler de longues heures, sans pause ni congé. Pour la plupart de ces personnes, il s’agit d’une contrainte inévitable. Ce n’est pas un problème qui peut se régler tout seul.
Améliorer les conditions en trois étapes
Alors, quelle est la réponse au problème du temps de travail inhumain et antisocial auquel les travailleuses et travailleurs de l’informel sont confrontés ?
À ce propos, nous avons élaboré une approche en trois volets consistant à étendre, par la négociation, la protection sociale, à mettre en place des installations de soutien adéquates et à rémunérer par voie d’un supplément garanti le service public rendu par les travailleurs et travailleuses de l’informel.
En premier lieu, la protection sociale devrait être assurée à tous les travailleurs et travailleuses, quel que soit leur statut dans l’emploi. En d’autres termes, les travailleurs indépendants et les travailleurs de l’informel employés comme tels dans le secteur formel devraient, en matière de pension, bénéficier des mêmes droits et dispositions que les travailleurs employés à titre formel.
Ces personnes devraient pouvoir bénéficier d’une aide au revenu lorsqu’ils sont malades ou perdent leur gagne-pain pour quelque raison que ce soit. Cette aide au revenu devrait être offerte aux parents qui doivent s’absenter du travail pour s’acquitter de leurs responsabilités parentales ou familiales, y compris la maternité.
Et, si l’on veut vraiment briser le cycle infernal chez les travailleurs et travailleuses de l’informel, celui du temps de travail excessif, l’accès à des services publics de garde d’enfants, gratuits et de qualité, ainsi qu’à des soins gratuits pour les personnes âgées, est essentiel.
Deuxièmement, les installations de base (eau, sanitaires, espace de stockage, etc.) dont dépendent les travailleurs à domicile indépendants et sous-traitants doivent être améliorées de manière à favoriser de beaucoup leur productivité et leur revenu. Par exemple, si une vendeuse de rue dispose d’un lieu sûr, près de son lieu de travail, pour stocker ses marchandises la nuit, elle passera moins de temps à les transporter ailleurs. Si une récupératrice de matériaux dispose d’un lieu de tri, elle pourra peut-être vendre directement à un acheteur plutôt que de passer par un intermédiaire.
En troisième lieu, nous tenons que, lorsque des travailleuses et travailleurs de l’informel indépendants fournissent effectivement un service public, comme c’est le cas des récupérateurs de matériaux, ils doivent bénéficier, au titre de revenu, d’un supplément auprès des deniers public. Sous la pression organisée des travailleurs et travailleuses, certaines villes en Inde et en Colombie montrent déjà la voie à suivre.
Pour traduire cette approche dans les faits et atteindre les objectifs, WIEGO, travaillant de concert avec ses organisations membres, les aide à élaborer des revendications et des plateformes de négociation pouvant assurer à terme des moyens de subsistance dignes (y compris un temps de travail social).
En 2019, 133 ans après la grève à Chicago pour réduire le temps de travail, une action ouvrière qui a donné lieu au Premier Mai, la fête du Travail célébrée dans le monde entier, WIEGO s’engage à nouveau dans la lutte en faveur d’un temps de travail social pour tous les travailleurs et travailleuses du monde, et surtout pour le 61 % qui a été jusqu’ici largement ignoré.
En lire plus sur la lutte engagée par les travailleurs et travailleuses de l’informel en faveur des services de garde d’enfants et des autres protections sociales.
Feature photo: María Zalate Deyaya is a food vendor at the Mercado Bolívar in Lima, Peru. She is a member of the National Federation of Market Workers (Federación Nacional de Trabajadores de Mercado, FENATM), and is among the two-billion workers globally organizing for better working conditions for the self-employed.
Credit: Juan Arredondo/Getty Images Reportage
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