En Italie, nous approchons d’un mois de confinement. Les rapports sinistres sur les systèmes de santé débordés d’ici et d’autres parties de l’Europe, ainsi que de l’Amérique du Nord, ont dominé la couverture de la COVID-19 dans une grande partie des médias d’information influents du monde. Mais l’attention a commencé à se déplacer vers l’histoire tout aussi dévastatrice des pays du Sud. Cette histoire est celle des déficits structurels de longue date dans une économie mondiale qui limite la capacité des gens à surmonter les crises.
Depuis 23 ans, le réseau WIEGO et ses alliés attirent l’attention sur la situation précaire des travailleuse·eur·s de l’informel dont les contributions à l’économie et à la société sont d’une importance critique mais terriblement sous-estimées. Aujourd’hui, la COVID-19 ne se contente pas de mettre en évidence les problèmes existants, mais les accentue.
COVID-19 en chiffres
Dès le départ, l’histoire de la COVID-19 a été dominée par des chiffres : le nombre de personnes infectées, le nombre de personnes qui se sont rétablies, le nombre de personnes qui ont succombé à cette terrible maladie, à l’échelle locale et mondiale.
Plus récemment, les chiffres financiers ont également commencé à faire les manchettes. Les gouvernements nationaux, principalement dans les pays riches du Nord, ont annoncé des mesures de secours d’urgence avec des étiquettes de prix audacieuses et clairement articulées. Il est encourageant de constater que certaines d’entre elles comprennent des interventions politiques qui reconnaissent la réalité de la structure de l’emploi d’aujourd’hui, les travailleuse·eur·s indépendants et les travailleuse·eur·s de l’économie de plateforme étant compris·e·s dans le cadre de ces mesures, pourtant limitées.
Les fédérations syndicales du monde jouent un rôle de premier plan pour s’assurer que les travailleuse·eur·s ne sont pas oublié·e·s. La Confédération syndicale internationale (CSI), par exemple, a analysé les programmes d’allégement – qui comprennent le remplacement du revenu d’urgence, les congés payés (souvent pour les malades et les personnes ayant des responsabilités en matière de soins) et l’allégement hypothécaire, entre autres – et a publié « D’abord les gens : 12 gouvernements montrent au monde comment protéger les vies, les emplois et les revenus ».
À quelques exceptions près, peu de pays du Sud fournissent un soutien complet à celles et ceux qui n’ont pas d’emploi formel. Les programmes de subventions en espèces qui existaient avant la crise ont tendance à cibler les plus démuni·e·s, celles et ceux qui sont en dehors du marché du travail, excluant les travailleuse·eur·s de l’informel. Les programmes de subventions d’urgence en espèces en cours d’élaboration ne parviennent pas non plus aux travailleuse·eur·s de l’informel, pour diverses raisons.
61 % de la population occupée dans le monde travaille dans l’économie informelle ; dans les pays en développement, ce chiffre totalise 90 % dans l’ensemble et 79 % dans les zones urbaines.
Cela est significatif, parce qu’il y a d’autres chiffres qui sont tout aussi pertinents dans cette crise. 61 % de la population occupée dans le monde travaille dans l’économie informelle ; dans les pays en développement, ce chiffre totalise 90 % dans l’ensemble et 79 % dans les zones urbaines. Environ les deux tiers de tous·te·s les travailleuse·eur·s des pays en développement travaillent à titre indépendant. La plupart sont des travailleuse·eur·s pour compte-propre ou collaborant à l’entreprise familiale, et en moyenne, elles et ils vivent dans la pauvreté.
Les organisations de base des travailleuse·eur·s de l’informel sonnent clairement le tocsin. Pour survivre à cette perturbation massive, les travailleuse·eur·s marginalisé·e·s doivent être vu·e·s et entendu·e·s par celles et ceux qui font les politiques financières et sanitaires.
Les vendeuse·eur·s de rue face à une nouvelle ironie
Les vendeuse·eur·s de rue gagnent leur vie dans des espaces publics, souvent bondés. Des recherches récentes montrent que beaucoup parmi elles et eux n’ont pas suffisamment accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, il est donc vain de leur dire de se laver les mains à moins que les autorités municipales ne fournissent les moyens de le faire. En outre, dans les villes à travers le monde, les vendeuse·eur·s de rue ont longtemps fait face à des réglementations onéreuses et à des mesures punitives, y compris les arrestations et la confiscation de biens, qui entravent gravement leur capacité d’assurer leur subsistance.
L’ironie réside dans le fait que les vendeuse·eur·s de l’informel sont une partie essentielle des chaînes d’approvisionnement alimentaire. Ces travailleuse·eur·s fournissent une nourriture accessible à celles et ceux qui ne peuvent se permettre d’acheter les produits de première nécessité qu’en très petites quantités et ne peuvent même pas se permettre d’acheter les produits aux supermarchés à escompte.
Aujourd’hui, une terrible nouvelle ironie se pose : l’imposition de blocages locaux et nationaux pour contenir la propagation de la maladie menace non seulement les moyens de subsistance, mais aussi la survie même des vendeuse·eur·s de l’informel. Comme Rosheda Muller, présidente de l’Alliance sud-africaine des commerçants de l’informel (SAITA), l’a déclaré dans une lettre ouverte au gouvernement sud-africain quelques jours avant que le pays ne force un confinement national :
Notre secteur sera sans doute le plus durement touché. Tout arrêt ou suspension du commerce serait catastrophique pour les moyens de subsistance de milliers et de milliers de travailleuse·eur·s de l’informel et de leurs familles. Contrairement aux secteurs public et privé, il n’y a pas de réseau de sécurité pour nous. Nous serons littéralement laissé·e·s de côté, à moins que le gouvernement n’intervienne et ne fournisse une forme d’aide.
Les travailleuse·eur·s à domicile et la perte des chaînes d’approvisionnement mondiales
Dans l’autre extrémité du spectre de visibilité, les travailleuse·eur·s à domicile qui connaissent depuis longtemps l’isolement sont maintenant les plus touché·e·s par la COVID-19. HomeNet de l’Asie du Sud-Est (HNSA) rapporte que les travailleuses à domicile, qui produisent pour les chaînes d’approvisionnement mondiales, ont cessé de recevoir des commandes il y a un mois. Dans son appel au gouvernement indien (où 93,7 % des travailleuse·eur·s appartiennent au secteur informel), l’Association des travailleuses indépendantes (SEWA, syndicat et membre de la HNSA) a déclaré :
Des millions de travailleuses à domicile sont impliquées dans la finition ou l’ajout de valeur, tels que des embellissements sur des vêtements, la broderie, etc. Étant donné qu’une grande partie du travail provient de magasins ou même de commandes étrangères, ce travail est complètement arrêté. Par exemple, plus de 4 lakhs [400 000] de femmes qui font de la broderie Chikan à Lucknow sont sans emploi depuis la première semaine de mars, par crainte d’une infection de leurs mains.
Le fait que ces femmes aient perdu leur revenu (et donc leur capacité à répondre à leurs besoins ménagers de base) avant que le virus ou les blocages n’arrivent, révèle un problème structurel dans l’économie mondiale. Elles produisent pour des marques nationales et internationales, ne gagnent qu’une infime fraction du prix de détail pour les articles qu’elles produisent, et n’ont pas de bouée de sauvetage lorsque les commandes se tarissent.
Les récupératrice·eur·s de déchets ont besoin de meilleures protections
Les récupératrice·eur·s ont toujours fourni des services essentiels d’assainissement et de gestion de déchets solides qui profitent aux économies, à la santé publique et à l’environnement. Pourtant, dans la plupart des pays du monde, leurs contributions ne sont pas reconnues.
Les préoccupations soulevées par les organisations de récupératrice·eur·s dans cette pandémie ne sont pas différentes des problèmes qu’elles ont combattus depuis de longues années. Le premier est le risque pour la santé. Comme toujours, les récupératrice·eur·s sont à risque de contracter des maladies parce que les matériaux qu’elles·ils recueillent et trient peuvent être contaminés. Pourtant, même lorsque les récupératrice·eur·s ont été intégré·e·s dans les systèmes formels et sont payé·e·s en tant que fournisseuse·eur·s de services, elles·ils doivent maintenant se battre pour obtenir l’équipement de protection pour réduire leurs risques.
Pourquoi continuer à travailler avec la COVID-19, alors ? D’abord, les récupératrice·eur·s ne peuvent survivre sans gains. En outre, il y a la menace omniprésente de privatisation. Si elles·ils ne continuent pas à fournir le service sur lequel les municipalités comptent, elles·ils risquent de perdre leur travail, les grandes entreprises voulant avoir accès à des déchets lucratifs. Ainsi, elles·ils parient : ces travailleuse·eur·s préfèrent de travailler, même risquant l’infection, afin de protéger l’accès qu’elles·ils ont aux matériaux recyclables.
Les travailleuses domestiques, vulnérables et en première ligne
Les travailleuses domestiques sont des travailleuses des soins de première ligne et, comme les récupératrice·eur·s, font face aux risques d’exposition au virus. Pour continuer à fournir d’importants services d’hygiène, elles ont besoin d’équipements de protection. Historiquement, elles manquent aussi de protections sociales et du travail ; elles ont accès à peu de protections du salaire minimum et n’ont pas de congé maladie payé.
La Fédération Internationale des Travailleuse·eur·s Domestiques a publié une déclaration exigeant que les gouvernements redoublent d’efforts pour les protéger. Leurs affiliés font des demandes similaires dans le monde entier, tout en exigeant que les ménages individuels continuent d’indemniser les travailleuses domestiques si ont leur demande d’arrêter de travailler, ou si elles doivent le faire.
Mesures d’urgence nécessaires
Ces brefs exemples de partout dans les pays du Sud montrent le besoin urgent d’action des gouvernements à tous les niveaux, quel que soit le nombre d’infecté·e·s ou les restrictions de circulation imposées actuellement. Les travailleuse·eur·s de l’informel, qui sont depuis trop longtemps les plus touché·e·s par les inégalités structurelles, font partie essentielle des systèmes urbains et économiques. Sans soutien, ces systèmes déjà précaires s’effondreront.
Les équipes de Protection Sociale et des Villes Focales de WIEGO ont entrepris une étude d’évaluation rapide sur l’ensemble de notre réseau. Des histoires et des renseignements sur le terrible bilan de la crise COVID-19, et le travail remarquable accompli par nos membres, seront présentés dans les jours et les semaines à venir sur la section COVID-19 de notre site web.
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