La pandémie de COVID-19 représente un énorme défi pour les gouvernements du monde entier, non seulement à cause de l’urgence sanitaire, mais aussi à cause de la profonde crise économique affectant à la fois l’offre et la demande. Des millions de travailleuse·eur·s ont vu leurs moyens de subsistance et leur sécurité affectés. Les travailleuse·eur·s du formel, d’une part, ont été quelque peu touché·e·s par la protection offerte par leurs relations de travail officielles. Les plus démuni·e·s, d’autre part, subsistent grâce aux aides sociales gouvernementales. Voilà le « milieu délaissé », souvent négligé par les programmes de protection, que les gouvernements ont dû se battre pour atteindre, dont un bon nombre des gens sont des travailleuse·eur·s de l’économie informelle. En conséquence, la crise a mis en évidence les besoins de ces travailleuse·eur·s, les rendant visibles d’une manière qu’elles n’avaient pas été auparavant.
WIEGO a suivi les réponses des gouvernements à la pandémie, documentant 63 réponses de pays, 21 réponses sous-nationales et 22 réponses des organisations de travailleuse·eur·s à ce jour. L’intervention gouvernementale la plus courante a été de loin la mise en œuvre de programmes de subventions d’urgence en espèces. Pas moins de 51 des 63 pays surveillés, soit 80 % du total, ont mis en œuvre une politique visant à protéger les revenus et les moyens de subsistance des travailleuse·eur·s. Il était donc logique pour nous d’entamer une série de notes d’information avec des réponses sur la protection sociale mettant l’accent sur ce sujet.
Dans la première note d’information, nous analysons les subventions gouvernementales et les transferts en espèces visant les travailleuse·eur·s de l’informel. Deux idées importantes sont apparues au fur et à mesure que cette recherche progressait. La première était que les gouvernements qui avaient déjà des systèmes en place pour la prestation de telles subventions, comme le Brésil et le Cap-Vert, étaient en mesure de réagir plus efficacement et plus rapidement. Avec les transferts en espèces et les subventions, une réponse rapide est cruciale – chaque jour qui passe fait une différence. Au Brésil et au Cap-Vert, les grandes bases de données où de nombreux travailleuse·eur·s de l’informel sont enregistré·e·s dans le cadre du système social ont été essentielles à la capacité d’agir rapidement. Le programme de subventions d’urgence en espèces du Brésil a représenté une ampleur sans précédent, visant à atteindre 60 millions de personnes, bien plus que les 13 millions de ménages bénéficiaires du programme Bolsa Família. Cela nous amène à la deuxième conclusion importante – que les gouvernements peuvent fournir un soutien à grande échelle lorsqu’ils en ont l’intention.
Comme de nombreuse·eux travailleuse·eur·s de l’informel ne sont pas dans le système bancaire officiel, la prestation de subventions et de transferts en espèces a soulevé un autre problème important : trouver des moyens alternatifs pour atteindre les travailleuse·eur·s de l’informel, le sujet de notre deuxième note d’information sur les réponses au COVID.
Apporter un soutien par le biais des canaux créés par une relation préexistante entre l’industrie et les travailleuse·eur·s est une bonne alternative, fournissant un complément important à l’aide de l’État. Dans le cas des gouvernements, l’ampleur et la bureaucratie peuvent ralentir les choses, alors que l’industrie a plus de flexibilité et peut atteindre les travailleuse·eur·s de l’informel plus facilement. Cela signifie qu’elle peut réagir beaucoup plus rapidement et offrir des résultats à celles qui sont en marge de la société et de l’économie.
Nous nous sommes de nouveau tourné·e·s vers l’exemple du Brésil, où l’association industrielle du secteur de l’hygiène personnelle, du parfum et de l’industrie cosmétique (ABIHPEC) a lancé une subvention d’urgence pour soutenir les récupératrices·eur·s pendant le couvre-feu. Cela s’est construit sur une relation de 15 ans entre les récupératrice·eur·s et l’industrie liée à un cadre juridique – la politique du gouvernement sur la responsabilité élargie des productrices·eur·s (EPR), qui s’inscrit dans la politique nationale brésilienne sur les déchets solides. Cette affaire offre un exemple de la manière de construire la solidarité et la redistribution des ressources économiques dans les systèmes de protection sociale.
L’un des principaux instruments utilisés par les gouvernements pour atteindre et apporter des avantages aux travailleuse·eur·s de l’informel était les transferts numériques, le sujet de notre cinquième note d’information. Les contraintes imposées par la pandémie ont encouragé les gouvernements à utiliser des outils qui existaient mais qui n’avaient pas été beaucoup utilisés. En se servant une variété d’approches technologiques, les gouvernements ont réussi à offrir des avantages à des millions de travailleuse·eur·s en quelques mois. Des pays comme la Namibie, la Colombie, le Guatemala et la Thaïlande ont utilisé la technologie de la téléphonie mobile dans les processus de demande de subvention, d’enregistrement et de vérification. La Namibie a également utilisé les téléphones mobiles pour fournir sa subvention de revenu d’urgence via des bons électroniques, se passant de la nécessité d’un compte bancaire. Mais la technologie numérique peut tout aussi bien créer de nouveaux types d’obstacles et d’exclusions, car tout le monde n’a pas les ressources pour y accéder, ni les compétences nécessaires pour l’utiliser efficacement.
Sur le terrain, l’expérience des pays a démontré qu’il n’existe pas de solution miracle pour atteindre les travailleuse·eur·s de l’informel, mais ce qui fonctionne le mieux, c’est lorsque les pays adoptent un ensemble de stratégies pour assurer une portée maximale. Les technologies numériques peuvent y jouer un rôle important, mais il est essentiel que cette technologie soit intégrée dans les systèmes existants. Au Bangladesh, par exemple, les efforts visant à lier la prestation de subventions aux numéros mobiles ont nui à l’efficacité du programme, car les bases de données téléphoniques n’étaient pas à jour. Dans le cas de l’Ingreso Solidario en Colombie, de nombreuse·eux travailleuse·eur·s de l’informel ont eu de la difficulté à accéder au paiement en raison du manque d’accès à Internet, des appareils mobiles et des défis liés à l’alphabétisation technologique.
Bon nombre de ces lacunes pourraient être comblées par de meilleurs canaux de gouvernance avec les travailleuse·eur·s de l’informel, afin que les politicien·ne·s comprennent les spécificités et les besoins de ces groupes de travailleuse·eur·s. Nous avons concentré notre troisième note d’information sur les espaces de dialogue entre les travailleuse·eur·s de l’État et les travailleuse·eur·s de l’informel qui ont été créés ou améliorés en réponse à la pandémie.
Bien que ces espaces institutionnels soient importants, ils n’étaient pas la seule façon pour les travailleuse·eur·s de l’informel de s’engager et de se mobiliser pour faire entendre leur voix et que leurs demandes soient satisfaites. De nombreuses organisations de travailleuse·eur·s de l’informel ont publié des plateformes de demandes, qui étaient souvent « multidimensionnelles » en ce qu’elles exprimaient la nécessité d’interventions politiques dans de nombreux aspects de leur vie touchés par la pandémie, au-delà de leurs revenus de travail. Cette réalité a motivé la quatrième note d’information de la série. Nous avons analysé des pays comme l’Argentine, le Burkina Faso et l’Indonésie, qui ont entrepris de multiples interventions non seulement pour fournir une source de revenus (c’est-à-dire une subvention d’urgence en espèces), mais aussi pour mettre en œuvre des politiques relatives aux besoins tels que la sécurité alimentaire et les soins de santé.
L’analyse des réponses de la protection sociale à la pandémie de COVID-19 a mis en lumière deux leçons clés : la première est la nécessité d’une approche suffisamment souple pour reconnaître les multiples besoins et dimensions de la vie des travailleuse·eur·s de l’informel. La deuxième est l’importance de mettre en place des systèmes, des institutions et des espaces de dialogue social qui soient non seulement suffisamment solides pour soutenir les bénéficiaires actuels, mais qui soient aussi à la hauteur en cas de chocs imprévus.
Photo : Julian Luckham (bureau COMARP à Belo Horizonte, Brésil).