Depuis l'effondrement tragique des bâtiments du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, les manquements au travail décent dans les chaînes d'approvisionnement mondiales ont connu une attention renouvelée. La tragédie a conduit à l'Accord du Bangladesh sur la sécurité incendie et la sécurité du bâtiment, l'Alliance bangladeshi, et au final, à la Conférence internationale du Travail (CIT) 2016 sur les chaînes d'approvisionnement mondiales. Mais les ouvrières et ouvriers d'usine tels que celles et ceux du Rana Plaza – dont beaucoup assemblaient des vêtements pour des marques internationales – ne sont pas les seuls employés vulnérables dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Les travailleurs à domicile, principalement des femmes, sont sous-traités pour produire des biens ou fournir des services depuis leur foyer, les rendant ainsi plus invisibles encore. Le sujet est de trouver comment réguler les chaînes d'approvisionnement mondiales pour que les détaillants, le plus souvent dans les pays de l'OCDE, endossent la responsabilité des violations des droits de l'homme qui sont imbriquées dans leurs processus de production, et comment garantir qu'une telle régulation puisse inclure les travailleurs les plus marginalisés, tout en bas de la chaîne, à savoir les travailleuses et les travailleurs à domicile sous-traités.
Les travailleuses et travailleurs à domicile sous-traités représentent une part significative de la main-d'œuvre dans beaucoup de pays en voie de développement, en particulier en Asie du Sud. Alors qu'historiquement leurs activités étaient limitées au travail intensif et artisanal qualifié, les travailleuses et travailleurs à domicile assemblent et conditionnent aussi des biens, comme des appareils électroniques, des produits pharmaceutiques, et des pièces automobiles. Tandis que les salaires gagnés sont souvent des contributions vitales pour les familles, ces travailleuses et travailleurs doivent relever de nombreux défis, dont l'instabilité et l'insécurité de l'emploi, des conditions de travail dangereuses, et de faibles rémunérations. De plus, leur isolement (du fait de la nature de leur activité à domicile) rend la négociation collective difficile.
Compte tenu de leur isolement, comment les travailleuses et travailleurs à domicile peuvent-ils réaliser leurs droits en tant que travailleurs ? Nous explorons ci-dessous quelques stratégies.
Les travailleuses et travailleurs à domicile utilisent une « approche fondée sur les droits » à la CIT
En mars 2016, les partenaires de HomeNet de l'Asie du Sud se sont rencontrées à Ahmedabad, en Inde, afin d'établir une « plate-forme de revendications » en préparation des discussions tripartites (entre gouvernements, entreprises, et travailleurs) à la Conférence internationale du Travail sur les chaînes d'approvisionnement, à Genève, au mois de juin 2016. WIEGO a accompagné 10 représentantes d'organisations de base de travailleuses et travailleurs à domicile, issues du monde entier, jusqu'à Genève. Seule l'Association des femmes indépendantes (SEWA) a participé aux discussions en tant qu'organisation syndicale reconnue.
À la CIT, WIEGO, SEWA, et les représentantes ont rempli leur objectif de faire en sorte que les travailleuses et travailleurs à domicile soient reconnus comme parties prenantes des chaînes d'approvisionnement mondiales. La structure tripartite de la CIT, composée des entreprises, des travailleurs (syndicats), et des gouvernements, implique que les travailleurs qui ne sont pas reconnus comme partie d'une organisation syndicale ou non-gouvernementale ne peuvent pas s'exprimer dans le groupe des travailleurs sans la permission de la présidence. Le Groupe des travailleurs (syndicats) a soutenu que la Déclaration sur les EMN de l'OIT – « le seul instrument de l'OIT qui fournit une orientation directe aux entreprises sur leur politique sociale et sur des pratiques inclusives, responsables et durables en milieu de travail » – devrait être mise à jour afin d'incorporer les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme de l'ONU (« Principes directeurs »), et former ainsi la base d'une Convention. Spécifiquement, le Groupe des travailleurs a défendu une approche fondée sur les droits pour les chaînes d'approvisionnement – que toutes les travailleuses et travailleurs ont droit au travail décent, et que les entreprises devraient avoir le devoir correspondant d´appliquer la diligence requise pour identifier, atténuer, prévenir, et dénoncer les violations des droits humains.
Les travailleurs et travailleuses
Stratégie du groupe : les Principes directeurs de l'ONU comme base pour l'application des droits humains dans l'entreprise
Les Principes directeurs de l'ONU ont été adoptés en 2011, et ils représentent la première initiative adoptée par l'ONU sur la responsabilité des entreprises en matière des droits de l'homme. Comme la Déclaration sur les EMN de l'OIT, et les Directives de l'OCDE pour les entreprises multinationales, les Principes directeurs ne constituent pas une loi internationale au sens où ils ne peuvent pas être ratifiés par un État indépendant pour une application nationale. Ces principes, par conséquent, n'imposent pas d'obligations légales contraignantes envers les États ou les sociétés. Néanmoins, les Principes directeurs représentent un outil important en tant que premier système à définir les devoirs des États nationaux, issus des traités des droits humains. Les Principes directeurs soulignent aussi les responsabilités morales correspondantes du côté des entreprises.
Les Principes directeurs définissent le travail décent à partir de deux instruments juridiques internationaux : la Charte internationale des droits de l'homme, et la Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, qui fournissent le cadre des responsabilités des entreprises. Les entreprises ont la responsabilité de remédier aux « conséquences directes » de leurs activités sur les droits humains, mais également de « prévenir ou atténuer » les comportements d'autres parties prenantes dans leurs chaînes d'approvisionnement (comme les fournisseurs ou les sous-traitants) qui enfreignent les droits des travailleurs. Il est attendu des entreprises qu'elles s'acquittent de leurs responsabilités en :
- élaborant un engagement politique en faveur des droits humains qui soit communiqué à toutes leurs parties prenantes, et qui se reflète dans leurs pratiques d'entreprise ;
- en entreprenant un processus de diligence requise pour mettre en pratique cet engagement, et en remédiant aux comportements qui affectent les droits humains des travailleurs ;
- en implémentant un processus de réhabilitation pour les personnes qui sont sujettes à une violation des droits humains, pour avoir recours à une solution. Spécifiquement, les entreprises doivent établir un mécanisme opérationnel d'examen des plaintes.
Si les travailleuses et travailleurs à domicile sous-traités ne sont pas ici explicitement nommés, ils sont implicitement inclus. Particulièrement significative est l´exigence faite aux entreprises de s´engager à une « consultation constructive » avec les « individus de groupes ou de populations qui peuvent être dans un risque accru de vulnérabilité ou de marginalisation », et avec les groupes susceptibles d'être en danger.
Les Principes directeurs exposent différents moyens dont les entreprises devraient s'inspirer pour prévenir ou atténuer les violations possibles des droits humains, y compris le « développement des compétences de leurs fournisseurs ». Si la société ne bénéficie pas de « l'effet de levier » adéquat sur un fournisseur, elle devrait considérer mettre un terme à ses relations. Les Principes directeurs reconnaissent que le fournisseur peut être déterminant pour les affaires de la société, mais ils indiquent qu' « aussi longtemps que la violation se poursuit et que l'entreprise se maintient dans la relation, elle doit être capable de démontrer ses propres efforts constants pour atténuer l'incidence et être prête à accepter toutes les conséquences – légales, financières, ou touchant sa réputation – du maintien de ce lien ».
Renforcer les Principes directeurs pour combler les besoins des travailleuses et des travailleurs à domicile sous-traités
- Reconnaître les syndicats qui représentent les travailleurs et travailleuses de l'économie informelle.
- Exiger des entreprises de mettre à disposition des installations pour l'usage de tous les travailleurs, à des buts organisationnels.
- Rendre obligatoire et formel le suivi des entreprises (contrairement à un « engagement informel avec les parties prenantes concernées »). Leurs rapports devraient être faits à la fois à une institution gouvernementale et aux syndicats, en plus d'être mises à disposition sur des plateformes accessibles publiquement, comme les sites web des sociétés.
- Concevoir, en consultation avec les organisations des travailleurs et travailleuses de l'informel, des mécanismes de réclamation qui soient faciles à utiliser, pour les travailleurs individuels, et pour les organisations représentatives qui agissent au nom des travailleuses et travailleurs à domicile pour demander réparation. Des solutions doivent être élaborées afin que les travailleurs n'aient pas peur de perdre leur emploi pour la formulation d'une plainte.
- Exiger des entreprises qu'elles informent du niveau de protection sociale des travailleurs – y compris des travailleurs à domicile – dans les États où elles s'approvisionnent, et de leurs initiatives pour contribuer à cette protection sociale, là où la protection de l'État est insuffisante. Cette disposition est reflétée dans l'Accord-cadre global industriALL/H&M.
- Exiger que les entreprises encouragent la transparence dans leurs chaînes de valeur mondiales, en réclamant que leur enseigne soit mentionnée dans tous les accords de sous-traitance et de fournisseurs. Cela signifie que la gouvernance fonctionnerait du haut vers le bas, mais cela permettrait aussi aux travailleurs d'identifier l'enseigne, de rechercher ses engagements pour le travail décent (même en cas d'initiatives RSE ou multipartites), et d'enregistrer des réclamations au travers de mécanismes d'examen des plaintes.
À l'avenir
Cette année est importante pour les travailleuses et les travailleurs à domicile. L'OIT souhaite mettre à jour sa Déclaration sur les EMN, qui est à même de former les bases d'une Convention sur les chaînes d'approvisionnement, s'il doit y en avoir une. L'OCDE amende aussi ses Directives, qui sont basées sur les Principes directeurs de l'ONU, et qui ont été adoptées en mai 2011 par 42 pays membres et non-membres de l'OCDE, qui adhèrent à la Déclaration de l'OCDE sur l'investissement international et les entreprises multinationales. Comme la Déclaration sur les EMN, les Directives ne sont pas contraignantes (elles ont la forme de « principes » et de « normes ») mais elles s'appliquent spécifiquement aux entreprises qui sont intégrées dans les pays de l'OCDE et dans les pays signataires.
Le Conseil de L'OCDE a rendu obligatoire pour les pays qui adhèrent aux Directives d'établir un Point de contact national (PCN), qui peut prendre diverses formes institutionnelles (comme un ou plusieurs ministères, officiels gouvernementaux, un corps indépendant, ou d'autres). Les PCN sont chargés de la promotion et de la mise en œuvre des Directives. Dans certains pays, ces PCN font la preuve de leur efficacité. De plus, les entreprises sont incitées à disposer de « mécanismes opérationnels internes d'examen des plaintes » et à utiliser les services de médiation/conciliation des PCN, ainsi que les « mécanismes de résolution des différends internationaux, y compris l´arbitrage » et les tribunaux.
L'OCDE vise à convertir en actions pratiques et concrètes la responsabilité des entreprises d'identifier, de prévenir, d'atténuer, et de rendre compte des violations des droits humains. WIEGO est dans un processus de consultation avec HomeNet et ses affiliées, pour voir comment ces obligations peuvent être traduites en actions qui protégeront les travailleuses et les travailleurs à domicile.
Photo par Paula Bronstein/Getty Images Reportage
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