Par Carlin Carr
À Dakar, au Sénégal, le linge sale de la ville ne se nettoie pas au cycle d’essorage.
Chaque jour, d’un bout à l’autre de la ville, les femmes passent des heures à laver à la main des milliers de kilos de linge, de draps, de serviettes et de couvertures sales, un travail éreintant. Portant souvent un petit enfant au dos, les lingères de rue attendent que les clients potentiels se présentent à leur poste informel le long des rues de la ville.
Elles travaillent souvent côte à côte, en plein air, et, ensemble, se livrent avec ardeur à une routine répétitive et physiquement exigeante consistant à frotter, à rincer, à tordre et à sécher le linge. Souvent, le lavage se fait dans l’espace public, ce qui accroît la vulnérabilité induite par un travail déjà instable et précaire.
Dans le cadre du projet Villes focales à Dakar (VF Dakar), une nouvelle initiative de WIEGO, le coordonnateur Adama Soumaré a entrepris auprès des lingères dans divers quartiers des visites exploratoires pour en savoir plus sur leur expérience et leurs défis. Au fil des interactions, il a constaté que les lingères sont « l’un des groupes de travailleurs de l´informel les plus vulnérables » à Dakar.
On leur confie du travail au jour le jour, et elles peuvent passer des jours sans travailler, surtout pendant la saison des pluies, leur revenu baissant encore plus, du fait que le séchage du linge devient difficile. De même, le travail dans l’espace public présente une foule de défis : elles risquent d’être expulsées et harcelées et doivent veiller constamment sur leurs enfants, qui les accompagnent souvent, dans les rues grouillantes de la ville. En outre, le fait de s’accroupir, de se pencher et de soulever sans arrêt, au-delà des risques pour la santé et la sécurité au travail, entraîne des conséquences physiques graves.
Historiquement, les lingères à Dakar sont des laissées-pour-compte, malgré leur contribution à l’économie locale. « Les lingères de rue sont ignorées par les autorités publiques. De fait, la loi sénégalaise les range parmi les “travailleurs domestiques et gens de maison”, alors que la plupart d’entre elles n’interviennent pas du tout dans les espaces domestiques privés », explique Soumaré, « ce qui signifie que la relation qu’elles ont avec leur client et, a fortiori, avec les autorités publiques est différente de celle des employés de maison, qui ont un employeur direct. »
Les premières rencontres exploratoires entre VF Dakar et les lingères de rue ont pris pour appui le travail d’organisation amorcé par l’AFEME (Association des Femmes de la Médina), une organisation locale de défense des droits des femmes. Les réunions ont abouti à la décision des lingères de former un syndicat lors de leur première assemblée générale le 8 avril 2018.
Ce photoreportage nous fait découvrir la vie et les défis quotidiens des lingères de rue à Dakar.
Photo: Gabriella Tanvé
Les lingères comptent parmi les travailleurs de l´informel les plus pauvres et les plus vulnérables de la ville. Beaucoup sont des migrantes rurales qui se sont rendues à Dakar pour y chercher du travail comme domestiques ou lingères. Beaucoup travaillent pour pouvoir envoyer de l’argent à leur famille dans leur village natal.
Photo: Gabriella Tanvé
Abordant quelques uns des défis auxquels elles sont confrontées dans leur travail, les lingères disent que, lorsqu’elles manquent de clients, elles sont obligées de faire du porte-à-porte pour répondre aux besoins quotidiens. Certaines passent des jours sans clients, surtout pendant la saison des pluies. Leur revenue est donc instable, ce qui met leur ménage à rude épreuve et certaines, en particulier celles qui font la navette entre le village et la ville, se retrouvent sans abri.
Photo: Gabriella Tanvé
Les lingères, faute de mieux, travaillent dans l’espace public, mettant ici et là sur les trottoirs leurs seaux, leur lessive et leurs bidons d’eau. Pour sécher le linge, elles trouvent des solutions créatives, souvent en accrochant les vêtements à des clôtures, à des lignes et à des fils. Cependant, ces solutions peuvent aussi être dangereuses comme c’est le cas d’une lingère qui, plus tôt cette année, s’est grièvement blessée par suite d’une chute en essayant d’accrocher des vêtements à un fil élevé.
Photo: Gabriella Tanvé
Le fait de devoir travailler dans des espaces publics expose les lingères à des risques permanents. Elles font parfois l’objet d’expulsions et de harcèlement de la part des autorités. Leurs enfants, qui les accompagnent souvent faute de mieux, restent attachés au dos des femmes ou jouent sur les trottoirs et dans les rues, ce qui accroît le stress chez les lingères qui doivent jongler le travail et la supervision de leurs enfants.
Photo: Gabriella Tanvé
De fait, la garde d’enfants est parmi les besoins urgents qu’elles ont exprimés. Le fait de devoir porter leurs enfants entrave leur capacité de gagner leur vie et expose également les jeunes à des risques pour la santé et la sécurité dans leurs divers espaces de travail à travers la ville, y compris des produits de nettoyage dangereux.
Photo: Gabriella Tanvé
Le travail de lingère de rue exige de nombreux outils encombrants, notamment de gros seaux en plastique et des bidons d’eau. Comme les femmes laissent ces produits sur leur lieu de travail pendant la nuit, le vol est un problème majeur, ce qui réduit encore plus leur revenu.
Photo: Gabriella Tanvé
Dakar est une ville en pleine mutation, et les femmes se soucient d’avoir un espace et un lieu de travail. Prendre la parole pour exprimer leurs préoccupations est un premier pas. Après leur organisation formelle, l’AFEME et VF Dakar entendent poursuivre leur soutien aux lingères en renforçant leur voix collective dans le dialogue avec les autorités concernant leurs problèmes et les solutions possibles. Parmi ces solutions, dont elles ont discuté, figurent notamment la prestation publique de services de garde d’enfants, les stations de lavage publiques et des projets axés sur la santé. Restez donc à l’écoute pour connaître la suite !
Photo supérieure: Gabriella Tanvé
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