"Nos mains de récupératrice·eur·s de matériaux ont rendu le monde meilleur." – Jaquelina Flores de l’Alliance mondiale des récupératrice·eur·s.

"C’est un travail. Il ne s’agit pas tout simplement de donner un coup de main à la maison." – Carmen Britez, vice-présidente de la Fédération internationale des travailleuses domestiques (FITD).

Le message était sans équivoque lorsque les représentant·e·s des travailleuse·eur·s de l’informel se sont exprimé·e·s lors du webinaire mondial « Étendre la protection sociale aux travailleuse·eur·s de l’économie informelle », organisé par WIEGO en partenariat avec l’Alliance mondiale des récupératrice·eur·s, HomeNet International, la FITD, l’Association des Femmes Indépendantes (SEWA) et StreetNet International. Les travailleuse·eur·s de l'économie informelle veulent être reconnu·e·s, visibles et exercer leur droit à la protection sociale en tant que travailleuse·eur·s, et non seulement en tant que personnes démunies.

Cet événement a eu lieu dans le cadre des activités de plaidoyer de WIEGO lors de la 109e session de la Conférence internationale du Travail, où l’organisation et ses partenaires de réseau ont représenté les travailleuse·eur·s de l’économie informelle. La COVID-19 a façonné la conférence de manière visible : elle s’est tenue en ligne pour la première fois et le thème en question s’est vu terni par l’une des années les plus dévastatrices de l’histoire récente pour les travailleuse·eur·s de l’informel du monde entier.

La crise de la COVID-19 a mis en évidence de la manière la plus brutale l'inaction des gouvernements à étendre la dignité et l'équité aux travailleuse·eur·s de l’informel, a déclaré Yvonne Bartmann de la Fondation Friedrich Ebert dans son discours d'ouverture. Cependant, quelques gouvernements ont fait preuve de la possibilité d’étendre la protection sociale aux travailleuse·eur·s de l’informel en temps de crise, par le biais de nouvelles politiques ou de l’amélioration d'anciennes politiques. Jetons un coup d'œil aux solutions politiques mises en place par les gouvernements pour aider les travailleuse·eur·s à traverser la crise de la COVID-19 :

Argentine

Ce qu’elle a fait: L’Argentine a démontré au monde comment les travailleuse·eur·s de l’informel peuvent être inclu·e·s dans les espaces de dialogue social pour la protection sociale et comment les crises peuvent offrir plus d’occasions pour ce dialogue.

Comment elle l’a fait: En mars et avril 2020, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures de protection sociale visant à soutenir les travailleuse·eur·s vulnérables. À travers les syndicats UTEP et Barrios de Pie, les travailleuse·eur·s de l’informel ont été intégré·e·s dans un espace de dialogue social à travers le Comité social d’urgence (CSU), créé en réponse à la pandémie. Le but du CSU était d'aborder les questions de sécurité alimentaire, de sécurité des revenus et de sécurité de l'emploi. Il a réuni des représentant·e·s de différents niveaux de l'État, des églises, des travailleuse·eur·s et des organisations de la société civile.

Impact sur les vies des travailleuse·eur·s: Le CSU a fait de la sécurité alimentaire une priorité absolue et a modifié la fréquence de recharge de la Tarjeta Alimentar (carte alimentaire) de mensuel à hebdomadaire. Cela a permis aux ménages bénéficiaires de mieux gérer leur budget familial.

Défis: Même si le dialogue et les actions au niveau local se sont poursuivis tout au long de la crise, le manque d’institutionnalisation ou de formalisation au niveau fédéral a mené le CSU à une impasse.

Brésil

Ce qu’il a fait: Le Brésil a mis en place un transfert d'argent liquide de grande valeur, qui a relativement bien réussi à atteindre les travailleuse·eur·s de l’informel. Ce pays offre aussi un exemple novateur de la manière dont les prestations de protection sociale supplémentaires peuvent être financées par des accords au niveau de l'industrie soutenus par une politique gouvernementale.

Comment il l’a fait: L’État a très rapidement lancé la subvention Auxilio Emergencial (Aide d’urgence), dont le montant dépassait plus de quatre fois le seuil de pauvreté. Elle a atteint 66 millions de Brésilien·ne·s, dont beaucoup de travailleuse·eur·s de l’informel. Certaines coopératives de récupératrice·eur·s de matériaux ont pu s’appuyer sur la politique de responsabilité élargie des productrice·eur·s du pays pour obtenir des bénéfices additionnels provenant des industries du parfum, de la cosmétique et des produits d’hygiène.

Impact sur la vie des travailleuse·eur·s: Malgré l’impact économique de la crise, la couverture et le montant élevé de la subvention Auxilio Emergencial ont permis de réduire la pauvreté et les inégalités au Brésil. Les subventions fournies par les industries du parfum, de la cosmétique et des produits d’hygiène ont soutenu environ 5000 récupératrice·eur·s de 150 coopératives du Brésil lorsque les mesures d’isolement social obligatoire en vigueur leur empêchait de travailler. Chaque récupératrice·eur a reçu une subvention en espèces de 600 BRL (120 USD) en deux versements de 300 BRL.

Défis: Auxilio Emergencial a été prolongé en 2021 mais à une échelle très réduite, ce qui peut par la suite réduire son impact sur la pauvreté et les inégalités. Les subventions destinées aux récupératrice·eur·s devraient augmenter significativement pour toucher plus de travailleuse·eur·s du secteur.

Inde

Ce qu’elle a fait: Les Conseil de la protection sociale des travailleuse·eur·s de l’Inde sont un exemple novateur de protection sociale contributive pour les travailleuse·eur·s salarié·e·s, sous-traitant·e·s ou indépendant·e·s de l’informel. Dans l'État de Kerala, le Conseil de la protection sociale des travailleuse·eur·s inorganisé·e·s a joué un rôle clé en veillant à ce que les mesures d’aide atteignent les travailleuse·eur·s de l’informel.

Comment elle l’a fait: Les Conseils de la protection sociale des travailleuse·eur·s existent depuis les années 50 pour assurer des aides sociales de base aux groupes de travailleuse·eur·s à l’écart des relations de travail traditionnelles. Chaque conseil est dirigé par un comité tripartite composé de représentant·e·s du gouvernement, des employeuse·eur·s et des travailleuse·eur·s. Chacun conseil est financé différemment selon le secteur impliqué. Par exemple, le Fonds de protection pour les travailleuse·eur·s de la construction et du bâtiment est financé par les contributions des travailleuse·eur·s du bâtiment, de l’État et d’une taxe de 1 % sur tous les projets de construction payés par l’entreprise principale.

Impact sur la vies des travailleuse·eur·s: Les prestations fournies par les conseils couvrent les besoins de base en matière de sécurité sociale prioritaires pour les travailleuse·eur·s de l’informel : frais de santé, d’éducation, de décès, de mariage et des funérailles.

Défis: Les prestations sont minimes. Au Kerala, par exemple, la pension fournie par le Conseil de la protection sociale des travailleuse·eur·s inorganisé·e·s est de 1200 INR (16 USD) par mois, ce qui ne suffit pas à maintenir un·e travailleuse·eur au-dessus du seuil de pauvreté de 1 USD par jour. Cependant, ce montant est nettement supérieur aux 300 INR mensuels offerts par le Plan de retraite Indira Gandhi, le principal régime national de pensions d'assistance sociale.

Togo

Ce qu’il a fait: Le système Novissi de subventions en espèces du Togo montre que même les pays à faible revenu peuvent étendre l'aide sociale aux travailleuse·eur·s de l’informel.

Comment il l’a fait: Le Togo est l’une des économies les plus petites de l’Afrique subsaharienne, mais cela ne l’a pas empêché de fournir de l’assistance sociale aux travailleuse·eur·s de l’informel lors de la crise de la COVID-19. Le programme s'adressait aux citoyen·ne·s togolais·e·s du secteur informel dont le revenu quotidien s'est interrompu à cause de la pandémie.

Impact sur la vie des travailleuse·eur·s: Les travailleuse·eur·s ont reçu un transfert en espèces mensuel, plus élevé pour les femmes en raison des inégalités dans les responsabilités de soins. Le montant de la subvention a été fixé à environ un tiers du salaire minimum togolais.

Défis: Le programme Novissi a été largement financé par l'aide au développement international, notamment par l'Agence française de développement (AFD) et l'Union européenne. La continuité du programme est peu probable sans de nouveaux moyens de mobiliser des ressources. En tant que petite économie, le Togo pourrait être éligible pour bénéficier du Fonds mondial pour la protection sociale proposé, ce qui permettrait au pays de poursuivre ses efforts pionniers en matière de protection sociale des travailleuse·eur·s de l’informel.