En décembre 2020, le Conseil de l’UE a adopté les Conclusions sur les droits de la personne et travail décent dans les chaînes d'approvisionnement mondiales et a demandé à la Commission européenne d’élaborer un cadre juridique qui rendrait obligatoire pour toutes les entreprises établies ou commercialisant des produits dans l’UE de s’engager à faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de la personne et d’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement. La société civile craint que les entreprises vont tout simplement reconditionner leurs protocoles existants –codes de conduite et audits sociaux– pour satisfaire à leurs obligations de diligence raisonnable.
La responsabilité en matière de diligence raisonnable a été guidée par une loi « non contraignante » volontaire, mais le passage à une législation obligatoire en matière de diligence raisonnable est en cours. Si l’UE veut réellement s’attaquer à la violation des droits de la personne des travailleuse·eur·s des chaînes d’approvisionnement, la législation devra veiller à ce que les pratiques en matière d’approvisionnement et de production tiennent compte des différences entre les genres, en se fondant sur la liberté d’association et la négociation collective. Les droits de la personne et du travail de toutes les personnes travaillant à tous les niveaux des chaînes d’approvisionnement, y compris les travailleuse·eur·s à domicile, doivent être pris en compte et les travailleuse·eur·s doivent participer à la conception des mécanismes de grief.
Jusqu’à présent, les entreprises ont abordé la responsabilité de diligence raisonnable sous l’angle de la gestion des risques, en protégeant leur réputation contre les réactions négatives des consommatrice·eur·s ou des actionnaires si des violations des droits du travail ou de l’environnement sont constatées dans leurs chaînes d’approvisionnement. Elles ont adopté une série de pratiques –codes de conduite, certifications, audits effectués par des entreprises privées indépendantes et collaborations avec des organismes regroupant diverses parties intéressées, dont des organisations de la société civile– dans le cadre de leur responsabilité de diligence raisonnable. Cette approche n’a donné que des résultats limités.
Les audits sociaux actuels –qui mesurent les performances sociales et éthiques d’une entreprise– ne parviennent pas à pénétrer les niveaux inférieurs de la chaîne d’approvisionnement, y compris les travaux externalisés et sous-traités. Ils ignorent les travailleuse·eur·s à domicile qui sont en grande partie invisibles, qui travaillent tout en bas des chaînes d’approvisionnement et qui sont les plus vulnérables dans ces chaînes. Ces travailleuse·eur·s sont invisibles parce que la sous-traitance sans contrat écrit se produit à de multiples niveaux. Les travailleuse·eur·s à domicile n’ont ni travail ni protection sociale et ont peu de possibilités de se mobiliser et de négocier collectivement pour lutter contre leur exploitation. Le travail à domicile est une importante source de revenus pour les femmes âgées et les femmes ayant des responsabilités de soins, qui trouvent difficilement un emploi dans une usine.
Ce n’est qu’une des raisons pour lesquelles les audits sociaux n’ont pas réussi à protéger les droits des travailleuse·eur·s. D’autres critiques se divisent en trois catégories. D’abord, les fournisseuse·eur·s manipulent les audits–par exemple, en sélectionnant les personnes qui seront interrogées et en leur donnant des instructions pour se préparer à l’audit–. Ensuite, les audits sont conduits par des personnes non professionnelles, n’ont pas de qualité constante, souffrent du manque de transparence et la corruption est omniprésente. Les entreprises Ali au Pakistan et Rana Plaza au Bangladesh ont toutes deux été évaluées par des auditrice·eur·s certifié·e·s quelques semaines avant que ces entreprises prennent feu ou s’effondrent, causant la mort de centaines de travailleuse·eur·s. Pour finir, les auditrice·eur·s se concentrent sur des questions telles que l’éclairage adéquat et la propreté des toilettes au lieu de contrôler le respect des droits fondamentaux du travail, comme la négociation collective, le respect des salaires minimums et la garantie que les heures supplémentaires sont volontaires et payées.
Le passage des lois « non contraignantes » à la diligence raisonnable obligatoire
Après l’adoption des Conclusions sur les droits de la personne et travail décent dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, le Conseil de l’UE a maintenant demandé à la Commission européenne de créer un cadre juridique de diligence raisonnable obligatoire. Le Parlement européen a diffusé un projet de directive suggérant que les entreprises devraient être tenues d’identifier et d’évaluer les risques en matière de droits de la personne et de droits du travail ; d’élaborer une stratégie de diligence raisonnable dans la chaîne d’approvisionnement ; d’entreprendre des consultations avec les intéressés ; et de mettre en place des mécanismes de grief. Le non-respect de ces règles devrait entraîner des sanctions, la suspension temporaire des activités commerciales et, dans les cas les plus graves, même une responsabilité pénale.
L’idée que les entreprises portent la responsabilité des violations des droits du travail dans leurs chaînes d’approvisionnement est basée sur les principes directeurs des Nations unies (UNGP) relatifs aux entreprises et aux droits de la personne, qui repose sur trois piliers : a) les devoirs des États de protéger les droits de la personne ; b) les responsabilités des entreprises de respecter les droits de la personne ; et c) l’accès des travailleuse·eur·s aux recours en cas de violation de leurs droits de la personne. Les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, et le Guide OCDE sur le devoir de diligence applicable aux chaînes d’approvisionnement responsables dans le secteur de l’habillement et de la chaussure intègrent les Principes directeurs des Nations unies.
Un modèle de conformité axé sur les travailleuse·eur·s
Normes et pratiques sensibles au genre
Les marques font pression sur leurs fournisseuse·eur·s pour obtenir des prix toujours plus bas. Associée à des délais de livraison courts, cette pression sur les fournisseuse·eur·s a conduit à une intensification du travail et a entraîné des heures supplémentaires forcées et non rémunérées. Étant donné qu’environ 80 % de la main-d’œuvre du secteur du vêtement est féminine, les pratiques relatives à l’approvisionnement et les normes et calendriers de production doivent tenir compte des responsabilités des femmes en matière de garde d’enfants et de leurs besoins relatifs à la santé et à la sécurité au travail, y compris la nécessité de pauses pour aller aux toilettes. Pourtant, tant pour les travailleuse·eur·s d’usine que pour les travailleuse·eur·s à domicile, en plus de l’exploitation des salaires à la pièce, la pression du travail compromet la garde des enfants et entraîne des risques pour la santé au travail, dont des infections urinaires.
Ces pratiques d’achat ont également exacerbé la violence et le harcèlement sexuel dans les usines. Les travailleuse·eur·s à domicile sont confronté·e·s à une forme particulière de violence structurelle exercée par les intermédiaires. Les travailleuse·eur·s à domicile bulgares signalent que les intermédiaires les menacent de non-paiement si elles·ils n’exécutent pas toute la commande dans les délais impartis. Les travailleuse·eur·s à domicile en Asie rapportent que les sous-traitant·e·s menacent de ne plus leur envoyer de travail si elles·ils contestent le paiement à la pièce, qui ne représente souvent qu’un tiers du salaire minimum légal.
Liberté d’association
La Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) reconnaît la liberté d’association et la négociation collective comme des droits du travail essentiels. Toutefois, selon la Confédération syndicale internationale (CSI), les audits sociaux ignorent souvent les droits à la liberté d’association et à la négociation collective ou accordent aux usines des notes très élevées pour le respect de ces droits dans des pays qui sont hostiles aux syndicats.
La liberté d’association et la négociation collective sont des droits habilitants et sont fondamentaux pour la réalisation de tous les autres droits du travail. Pour que ces droits deviennent une réalité pour les travailleuse·eur·s à domicile, les organisations des travailleuse·eur·s à domicile doivent être reconnues comme des syndicats. Cela est vital pour les travailleuse·eur·s à domicile qui ont du mal à accéder à l’information et à négocier individuellement avec les intermédiaires pour que les tarifs à la pièce s’élèvent au salaire minimum.
Audit axé sur les travailleuse·eur·s
Les marques doivent remplacer les auditrice·eur·s professionnel·le·s par des mécanismes qui triangulent le processus de diligence raisonnable. La participation active des travailleuse·eur·s, la participation active des citoyen·ne·s et un engagement solide avec les syndicats et les organisations des travailleuse·eur·s à domicile doivent constituer la voie à suivre. Le Guide OCDE sur le devoir de diligence applicable aux chaînes d’approvisionnement responsables dans le secteur de l’habillement et de la chaussure exhorte les multinationales à s’engager de manière significative auprès des groupes vulnérables dont les droits de la personne risquent d’être violés, en reconnaissant les travailleuse·eur·s à domicile dans cette catégorie.
Les fournisseuse·eur·s devraient être contractuellement obligé·e·s de procurer à chaque travailleuse·eur des contrats écrits qui incluent le nom des marques pour lesquelles elles·ils produisent. Elles·Ils devraient avoir des copies des politiques des marques en matière de droits de la personne et des rapports de diligence raisonnable dans leur propre langue.
Mais surtout, la totalité des travailleuse·eur·s, y compris les travailleuse·eur·s à domicile, devraient participer à la conception de mécanismes de plainte et de grief leur permettant de se plaindre sans crainte de perdre leur travail.
Photo principale : Kanyapat Buason coud des vêtements dans une usine appartenant aux travailleuse·eur·s à la périphérie de Bangkok. Son principal revenu provient du travail sous-traité. Crédits : Paula Bronstein/Getty Images Reportage
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