Dans un contexte de sensibilisation croissante à l’impact social et environnemental des décharges à ciel ouvert, les pressions exercées pour les fermer se multiplient. Ces processus se font souvent de manière précipitée et sans tenir compte des moyens de subsistance perdus par les récupératrice·eur·s de matériaux. Les expériences de Brasilia, Accra et Dakar montrent que l’inclusion des récupératrice·eur·s de matériaux dans les plans de fermeture des décharges est cruciale pour une transition juste vers des pratiques de gestion des déchets plus durables.


Brasilia (Brésil) : une approche globale

Lúcia Nascimento, dirigeante de la coopérative CORACE à Brasilia, travaillait depuis 20 ans à la décharge Estrutural, la plus grande d’Amérique latine, au moment de sa fermeture en 2018. « Le 20 janvier, la décharge a été fermée. Nous n’oublierons jamais cette date ».

La décharge était en activité depuis 1960 et, au fil des années, un village de plus de 40 000 habitant·e·s a vu le jour dans sa périphérie. C’est dans ce village que vivaient les récupératrice·eur·s de matériaux, qui travaillaient dans la collecte de milliers de tonnes de produits recyclables directement dans la décharge, et que se trouvaient les centres de recyclage.

La décharge était située dans le bassin d’une rivière vitale pour l’approvisionnement en eau de la capitale et constituait donc une menace environnementale importante. Malgré des décisions judiciaires antérieures, ordonnant la fermeture de la décharge, ce n’est qu’en 2015 que le nouveau gouverneur de Brasilia, sous la pression du bureau du procureur de l’environnement, a relevé le défi. Il s’est engagé à inclure les récupératrice·eur·s de matériaux dans le processus de fermeture.

Un diagnostic initial a permis d’identifier 27 problèmes clés liés à la fermeture, ainsi que 17 agences gouvernementales ayant un rôle à jouer. Un plan d’urgence a été élaboré pour faire face aux problèmes les plus critiques. Une étude épidémiologique a été menée pour mieux comprendre la situation des récupératrice·eur·s de matériaux et de la communauté voisine.

Le gouvernement a mis en place un groupe de travail chargé d’élaborer un plan pour aider les récupératrice·eur·s de matériaux à migrer vers des installations appropriées tout en formant des organisations qui permettraient au gouvernement de les embaucher en tant que prestataires de services.

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Meeting of the international monitoring committee with the government of Brasilia

Réunion du comité international de suivi avec le gouvernement de Brasilia pour discuter des lignes directrices sociales et environnementales pour la fermeture de la décharge. Crédit photo : Sonia Dias

Des organisations comme WIEGO et des institutions sanitaires réputées au Brésil ont formé un comité de suivi pour s’assurer que les mesures environnementales et sociales étaient prises en compte. De nombreuses plateformes participatives ont été créées pour permettre aux travailleuse·eur·s de participer à l’élaboration des politiques relatives à la fermeture de la décharge.

En janvier 2018, la décharge a été fermée et les récupératrice·eur·s de matériaux sont passé·e·s au travail dans des coopératives. « Quand la décharge a été fermée, la situation est devenue très difficile pour nous, car même si nous n’avions pas de dignité [lorsque nous travaillions à la décharge], nous gagnions suffisamment d’argent pour subvenir à nos besoins », explique Lúcia.

Cependant, par le biais de la coopération, elles·ils ont obtenu des contrats pour la collecte et le tri des produits recyclables, pour des hangars de recyclage et pour d’autres services essentiels.

« Si l’on considère les aides que nous accorde le gouvernement, nous sommes au niveau du salaire minimum et cela nous suffit au moins pour survivre. Aujourd’hui, nous travaillons dans un endroit sûr et nous bénéficions de plusieurs programmes, comme des soins de santé pour les femmes et des formations, et beaucoup d’entre nous retournent à l’école. Ces opportunités ont été très importantes pour nous », déclare Lúcia.

Le processus mis en place à Brasilia est un exemple de la manière dont les gouvernements peuvent répondre aux préoccupations environnementales tout en protégeant les moyens de subsistance, comme l’a soutenu WIEGO dans sa prise de position sur les fermetures des décharges.


Accra (Ghana) : une occasion manquée

Contrairement à l’approche de Brasilia, le site d’enfouissement de Kpone à Accra, au Ghana, a été fermé en juin 2020 sans que des mesures de protection des moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de matériaux aient été mises en place.

Le site d’enfouissement, conçu pour recevoir 500 tonnes de déchets, recevait 400 tonnes de plus que sa capacité. Un début d’incendie en août 2019 a entraîné le déplacement d’environ 300 travailleuse·eur·s vers un site voisin. Puis, en juin 2020, en pleine pandémie, le site d’enfouissement a été fermé.

« Nous avons appris la fermeture bien plus tôt, en mars 2018, par les médias, mais les récupératrice·eur·s de matériaux n’en ont jamais été officiellement informé·e·s », explique le Dr. Owusu Boampong, consultant technique pour WIEGO.

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Old, decommissioned engineered landfill and the “new” un-engineered dumpsite in Accra, Ghana

Légende de la photo : Ancien site d’enfouissement technique désaffecté et « nouvelle » décharge non technique à Accra, au Ghana. Crédit photo : Owusu Boampong.

En avril 2018, la Banque mondiale a présenté le projet de développement résilient et intégré du Grand Accra (GARID), visant à améliorer la résilience aux inondations et la gestion efficace des déchets à Accra. Conscient·e·s de l’impact potentiel sur leurs moyens de subsistance, les récupératrice·eur·s de matériaux ont tenté de sensibiliser l’opinion et d’établir des mesures de protection grâce à des actions menées avec le soutien de WIEGO.

Cependant, la réponse de la Banque mondiale a été évasive, affirmant que le démantèlement des sites d’enfouissement ne relevait pas du champ d’application du projet. « Il s’agissait essentiellement d’une tentative d’expliquer l’absence de consultation et de garanties pour les récupératrice·eur·s de matériaux, et aussi de contourner l’obligation de rendre des comptes ainsi que la responsabilité dans le cadre du projet », déclare Owusu.

En 2022, l’Organisation des récupératrice·eur·s de matériaux du site d’enfouissement de Kpone, avec le soutien de WIEGO, a formé une coopérative dans l’espoir d’obtenir des contrats de service pour la collecte à domicile. Cependant, cela n’a pas encore eu lieu.

Par ailleurs, WIEGO a aidé les récupératrice·eur·s de matériaux à trouver d’autres moyens de subsistance dans les communautés côtières. Les travailleuse·eur·s ont reçu une subvention qui permettra de lancer la collecte à domicile dans plusieurs quartiers.


Dakar (Sénégal) : mobilisation pour l’inclusion

Le site d’enfouissement de Mbeubeuss existe depuis 1972 et beaucoup de celles·ceux qui y ont travaillé sont aujourd’hui regroupé·e·s au sein de l’association de récupératrice·eur·s de déchets Bokk Diom.

Même si les travaux de préparation ont commencé en 2018, le gouvernement national a lancé en 2021 le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (PROMOGED) pour améliorer la gestion des déchets solides, dans le but de restructurer et, éventuellement, de fermer la décharge de Mbeubeuss. Orienté vers la privatisation, le projet est financé par la Banque mondiale, l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID) et l’Agence française de développement (AFD).

Trois ans après le début du projet et à la suite du plaidoyer et de la mobilisation des récupératrice·eur·s de déchets, le président du Sénégal s’est engagé en 2021 à les intégrer dans les nouveaux dispositifs de gestion des déchets.

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Awareness-raising session on coastal pollution

Des récupératrices de déchets à Dakar, au Sénégal, sont formées à la fabrication de savon. Crédit photo : Maguette Diop.

L’idée est de fermer le site d’enfouissement en 2026, mais les changements vers la privatisation avancent rapidement, notamment la transformation de l’agence publique responsable de la gestion des déchets en une entreprise privée. Cette situation risque de constituer une menace pour les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de déchets, car cela pourrait accroître la concurrence pour les très rares emplois qui seront créés dans les nouvelles installations de Mbeubeuss et dans la prestation de services de collecte à domicile. Elles·ils rencontrent également de plus en plus d’obstacles pour accéder à des matériaux de bonne qualité. Les récupératrice·eur·s à Dakar ont demandé à être inclus·es dans le programme PROMOGED et à ce que leurs moyens de subsistance soient préservés. Avec le soutien de WIEGO et de l’Organisation internationale du Travail (OIT), elles·ils ont créé une coopérative et travaillent également à la création d’un syndicat, avec le soutien de WIEGO et de la Confédération nationale de travailleurs du Sénégal (CNTS), afin de renforcer leur position face aux autorités.

À l’instar du projet mené à Accra, les récupératrice·eur·s de déchets sensibilisent le grand public à leur rôle dans la gestion des déchets et, dans un contexte d’insécurité quant à leur intégration dans les plans gouvernementaux, elles·ils explorent d’autres moyens de subsistance, tels que la collecte à domicile.


Leçons tirées

L’approche globale adoptée à Brasilia a permis de garantir des moyens de subsistance durables aux récupératrice·eur·s de matériaux, bien au-delà de ce que l’indemnisation aurait pu permettre. Elle montre que les plans de rétablissement des moyens de subsistance, associés à une feuille de route, sont essentiels et que les mécanismes de suivi et d’évaluation sont importants. En outre, cette approche prouve que les gouvernements peuvent jouer un rôle positif dans la promotion de l’intégration, en particulier lorsque les travailleuse·eur·s sont organisé·e·s et prêt·e·s à s’engager.

En revanche, l’occasion manquée à Accra et les efforts en cours pour l’inclusion à Dakar montrent l’importance de la consultation et de la participation pour s’assurer que les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s sont protégés pendant les fermetures de sites d’enfouissements.

Les récupératrice·eur·s de matériaux jouent un rôle important dans la récupération des matériaux recyclables qui, autrement, seraient mis en décharge et pollueraient l’environnement. La reconnaissance de leur contribution à la lutte contre le changement climatique et l’inclusion des récupératrice·eur·s de matériaux dans les processus de fermeture des décharges sont cruciales pour une transition juste vers une gestion des déchets alignée sur les objectifs climatiques.


Le contenu de ce blog est tiré du webinaire de WIEGO sur les fermetures de décharges.


Photo du haut : Un nouveau site d’élimination des déchets : un site d’enfouissement a été inauguré après la fermeture de la décharge à ciel ouvert d’Estrutural. Crédit photo : Sonia Dias.