Dès ses débuts, WIEGO a compris l’importance des statistiques pour sensibiliser le grand public et les décideuse·eur·s politiques à l’ampleur et à la contribution de l’économie informelle, ainsi qu’à la situation des femmes et des hommes qui y œuvrent. Par conséquent, l’élaboration de ces données a été intégrée à son programme stratégique. Cette section, accompagnée d’une chronologie visuelle, retrace l’évolution de ces statistiques en mettant en lumière le rôle joué par WIEGO dans le développement des concepts, dans l’augmentation du nombre de pays collectant des données sur l’économie informelle, et dans la diffusion de ces informations dans des formats accessibles à un large éventail d’usagers.
Élaboration de concepts et de définitions
La première fois que le secteur informel a été inscrit à l’ordre du jour d’une conférence internationale, c’était lors de la Conférence internationale du Travail de 1991. En 1992, le Bureau des statistiques de l’OIT a élaboré un rapport intitulé « Statistiques sur l’emploi dans le secteur informel », servant de base de discussion à la Conférence internationale des statisticien·ne·s du Travail (CIST) de l’année suivante. En 1993, la CIST a adopté une définition statistique internationale du « secteur informel », laquelle a par la suite été intégrée dans la révision internationale du Système de comptabilité nationale. Afin de s’insérer dans le cadre de ce système et de permettre une comptabilisation distincte du Produit Intérieur Brut (PIB) dans le secteur informel, cette définition s’est appuyée sur les caractéristiques des unités de production ou des entreprises plutôt que sur les relations d’emploi (voir la Résolution concernant les statistiques de l’emploi dans le secteur informel).
Pour approfondir les travaux sur les statistiques du secteur informel et de l’emploi informel, un groupe international d’expert·e·s a été constitué en 1997 par la Commission statistique des Nations unies. Étant donné que le système statistique de l’Inde accueillait ce groupe, il a été nommé le Groupe Delhi. Le Groupe Delhi a invité des statisticien·ne·s ainsi que des organisations utilisatrices de statistiques, telles que WIEGO et SEWA, à participer à ses réunions d’expert·e·s. Les rencontres du Groupe Delhi ont offert un forum international pour échanger des expériences sur la mesure du secteur informel et de l’emploi informel, documenter les pratiques de collecte de données, y compris les définitions et les méthodologies d’enquête, et recommander des actions visant à améliorer la qualité et la comparabilité des statistiques relatives au secteur informel. Le Groupe Delhi, le département des Statistiques de l’OIT et WIEGO ont collaboré à la préparation d’un document intitulé « Mesurer l’informalité : manuel statistique sur le secteur informel et l’emploi informel ». Ce manuel fournit des conseils pratiques pour chaque étape du processus d’enquête, allant de la conception et la réalisation de l’enquête à la tabulation et la diffusion des données. Son dernier chapitre est consacré à l’utilisation des données sur le secteur informel et l’emploi informel dans les statistiques des comptes nationaux.
En 2003, la Commission statistique des Nations unies a sollicité une révision du Système de comptabilité nationale de 1993 afin d’intégrer les nouveaux développements économiques, les progrès méthodologiques et l’évolution des besoins des usagers. Pour la première fois, le deuxième volume du Système de comptabilité nationale de 2008 a incorporé un chapitre sur les « Aspects informels de l’économie ». Ce chapitre met en lumière le rôle essentiel des statistiques relatives au secteur informel dans l’élaboration des comptes nationaux d’un pays. Les données issues d’enquêtes directes sur le secteur informel constituent une base améliorée pour estimer les composantes pertinentes de la production des ménages, offrant ainsi une mesure plus complète du PIB par rapport aux estimations indirectes utilisées auparavant. Ce chapitre représente une avancée majeure vers l’établissement d’estimations sur la contribution du secteur informel au PIB et la création de comptes satellites évaluant l’apport de l’emploi informel, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur informel, au PIB. De telles estimations ont été mises en œuvre au Mexique dans le cadre de l’élaboration des comptes nationaux. L’Institut national de statistique et de géographie (INEGI) a en effet produit des évaluations de l’économie informelle dans le PIB mexicain pour les années 2003 à 2021, illustrant la contribution significative du secteur informel et de l’emploi informel à la valeur brute de la production nationale.
Depuis sa création, WIEGO a reconnu la nécessité de réviser la Classification internationale des statuts dans l’emploi (CISE-93) –une classification internationale majeure des statistiques de l’emploi axée sur les relations de travail. Une diversité croissante de nouveaux arrangements contractuels, ainsi que des arrangements traditionnels, entraînaient des frontières floues entre le travail indépendant et le travail salarié –les distinctions principales utilisées par la CISE-93. Les efforts de WIEGO et d’autres organisations ont conduit à la demande de révision de la CISE-93 lors de la 20e CIST. Pour exposer les préoccupations de WIEGO et ses contributions potentielles au processus de révision, nous avons élaboré en 2015 le document « Considérations pour la révision de la CISE-93 », publié ultérieurement sous la Note d’information statistique nº 17 de WIEGO. Lorsqu'un groupe de travail tripartite a été constitué et chargé de développer une proposition de classification révisée, WIEGO s’y jointe en tant que seule ONG invitée.
Lors de la participation à cette révision, WIEGO a défini cinq priorités :
- Une meilleure représentation des catégories permettant d’identifier les travailleuse·eur·s à domicile dans la classification.
- Une catégorie distincte pour les travailleuse·eur·s non-salarié·e·s dépendant·e·s.
- Une définition claire et des catégories pour les ententes d’emploi des travailleuses domestiques.
- L’identification de sous-catégories pour les salarié·e·s.
- Priorité accordée au lieu de travail en tant que variable transversale essentielle. Tous ces objectifs ont été atteints lorsque la CIST a approuvé la nouvelle CISE-18, le 19 octobre 2018.
À partir de 2019, le programme de Statistiques de WIEGO a participé au groupe de travail tripartite pluriannuel de l’OIT visant à réviser les concepts et les normes statistiques sur l’informalité, et à préparer des recommandations pour approbation lors de la 21e Conférence internationale des statisticien·ne·s du Travail (2023). Cette révision était nécessaire pour aligner le cadre conceptuel de l’informalité avec celui des statistiques du travail de la 19e CIST et de la Classification internationale des statuts dans l’emploi (CISE-18), issue, elle, de la 20e CIST, ainsi que pour soutenir l’harmonisation des données entre les pays, y compris les pays développés. La participation de WIEGO visait à garantir que l’emploi des travailleuse·eur·s de l’informel et les préoccupations de WIEGO étaient prises en compte dans les recommandations.
Les sous-groupes ont traité les points suivants :
- Les critères de classification des non-salarié·e·s dépendant·e·s (nouvelle sous-catégorie de la CISE-18).
- Le développement d’un cadre d’indicateurs pour l’informalité à des fins de rapports nationaux.
- La prise en compte du « seuil de production de marché et des productrice·eur·s de denrées alimentaires de subsistance » (conséquence de la redéfinition du concept « emploi » par la 19e CIST comme du travail destiné uniquement à l’intention du marché).
L’équipe a également participé au groupe consultatif technique de l’OIT pour l’initiative « Engendering Informality » [Donner un genre à l’informalité], dont l’objectif consistait à intégrer la dimension de genre dans les normes statistiques sur l’informalité ainsi que dans les directives et outils pour leur mise en œuvre. Un document de travail de l’OIT, Donner un genre aux statistiques sur l’informalité, a désigné WIEGO comme « leader dans le travail visant à améliorer les données de genre sur l’informalité » et a cité nos travaux tout au long du document. La réunion de la 21e CIST en octobre 2023 a adopté une résolution mettant à jour et améliorant les normes de mesure de l’économie informelle, incluant les critères de classification des non-salarié·e·s dépendant·e·s et des travailleuse·eur·s familiales·aux collaborant à l’entreprise, ainsi qu’un cadre d’indicateurs pour les rapports nationaux afin d’aider les pays à évaluer les impacts des politiques de transition vers l’économie formelle.
En savoir plus sur les concepts, définitions et méthodes statistiques
En savoir plusAugmentation des pays collectant des données sur l’emploi Informel
Dans les années 1990, de nombreux pays ont emboîté le pas à l’Inde en lançant des initiatives majeures pour recueillir des données sur le secteur informel et sur l’emploi informel. Ainsi, des nations comme le Brésil, le Mali, le Mexique, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et la Turquie ont conçu des enquêtes destinées à mesurer l’ampleur et la nature de l’économie informelle. En Afrique du Sud, cet effort s’inscrivait dans une démarche plus large visant à moderniser le système statistique national de l’après-apartheid. Au Mexique, la collecte de données sur l’économie informelle a permis de suivre l’impact de l’Accord alors dénommé de libre-échange nord-américain (ALENA) et des politiques de privatisation en cours à l’époque. Pour des résumés de ces initiatives, consultez le troisième chapitre (p. 33 en anglais) de la première édition de Femmes et hommes dans l’économie informelle : un panorama statistique.
Grâce à l’assistance technique et à la formation fournies par le département des statistiques de l’OIT, en collaboration avec ses bureaux locaux, le nombre de pays collectant et diffusant régulièrement des données sur l’emploi dans le secteur informel n’a cessé d’augmenter. En parallèle, une initiative menée par l’Institut de recherche pour le développement en France a renforcé la collecte de données dans plusieurs pays, notamment en Afrique de l’Ouest. D’autres projets ont également contribué à l’amélioration de la collecte de données, en particulier en Asie. La coopération interrégionale sur la mesure du secteur informel, coordonnée par la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie et le Pacifique (CESAP), ainsi qu’un projet de la Banque asiatique de développement (ADB), ont permis d’enrichir les données disponibles dans la région. Les enquêtes initiées par la CESAP ont ainsi été réalisées aux Philippines, en Mongolie et au Sri Lanka, tandis que celles de l’ADB ont eu lieu en Arménie, au Bangladesh et dans deux provinces d’Indonésie.
En Inde et en Chine, un projet axé sur l’emploi informel, la pauvreté et la croissance, soutenu par WIEGO, a permis de recueillir des données essentielles, tant sur l’emploi informel que sur le secteur informel, via l’enquête sur le travail urbain en Chine, menée dans six grandes villes. Ce projet a été dirigé par l’Académie chinoise des sciences sociales, en collaboration avec les sièges locaux du Bureau national des statistiques de Chine, sous la coordination d’un comité consultatif international regroupant l’OIT, la Banque mondiale et WIEGO.
Enfin, quatre cours de formation ont été organisés à Chiba, au Japon, par l’Institut de statistique pour l’Asie et le Pacifique (SIAP) en collaboration avec la division statistique de la CESAP, l’OIT, WIEGO et le ministère japonais de l’Intérieur et de la Communication. Les participant·e·s venaient des services statistiques nationaux et des ministères du Travail.
Diffusions des données statistiques
Pour que les statistiques sur l’économie informelle soient accessibles et utiles à un large éventail d’usagers –allant des chercheuse·eur·s et décideuse·eur·s politiques aux défenseur·e·s des droits et aux organisations de travailleuse·eur·s de l’informel–, il est essentiel que les données soient disponibles sous différents formats. Ces formats incluent des ensembles de micro-données et des bases de données pour les chercheuse·eur·s, des rapports synthétiques pour les décideuse·eur·s, ainsi que des notes ciblées axées sur des groupes spécifiques de travailleuse·eur·s pour les défenseur·e·s et les organisations de travailleuse·eur·s de l’informel.
En 2002, l’OIT a publié la première compilation internationale de statistiques sur l’économie informelle, avec des estimations pour les régions en développement et les meilleures données disponibles sur deux groupes de travailleuse·eur·s de l’informel : les vendeuse·eur·s de rue et les travailleuse·eur·s à domicile. Ce rapport, Femmes et hommes dans l’économie informelle : un panorama statistique, a été préparé par une équipe de WIEGO pour soutenir les discussions générales sur le travail décent et l’économie informelle lors de la 90e session de la Conférence internationale du Travail, à Genève en 2002.
En 2013, l’OIT a publié la deuxième édition de Femmes et hommes dans l’économie informelle : un panorama statistique, une nouvelle collaboration entre l’OIT et WIEGO. Cette édition mettait en avant des données nationales dans la Base de données sur l’économie informelle OIT-WIEGO, un autre fruit de cette collaboration. Des estimations de l’économie informelle dans les régions en développement ont également été publiées sous forme d’un document de travail par WIEGO, intitulé Statistiques sur l’économie informelle : définitions, estimations régionales et défis.
La troisième édition de Femmes et hommes dans l’économie informelle : un panorama statistique, parue en 2018, a été préparée par l’OIT avec des conseils techniques de WIEGO. Cette édition marque une avancée importante dans plusieurs domaines. Pour la première fois :
- les statistiques sur l’économie informelle sont présentées à l’échelle mondiale, couvrant les pays développés comme les pays en développement et incluant les secteurs agricoles et non agricoles ;
- un ensemble de critères communs a été utilisé pour mesurer l’emploi informel à la fois dans le secteur informel et en dehors de celui-ci ;
- les micro-données de plus de 100 pays ont été traitées pour produire des estimations nationales, régionales et mondiales.
Afin de rendre ces estimations accessibles dans un format favorable à un public plus large, l’OIT et WIEGO ont collaboré pour publier Femmes et hommes dans l’économie informelle : une note statistique. WIEGO a également produit les statistiques clefs et messages statistiques sous forme de brochure intitulée Dénombrement des travailleuse·eur·s de l’informel du monde entier : un instantané mondial. Deux notes ciblées sur des groupes de travailleuse·eur·s spécifiques ont également été élaborées conjointement par WIEGO et l’OIT : Les travailleuses domestiques dans le monde : un profil statistique et Les travailleuse·eur·s à domicile dans le monde : un profil statistique.
Statistiques sur la taille, la composition, la contribution et les autres dimensions de l'économie informelle
Consultez notre Panorama statistiquePrincipales avancées dans l’amélioration des données sur l’emploi Informel
Deux avancées majeures ont significativement contribué à améliorer les données sur l’emploi informel et à en faciliter la diffusion. Tout d’abord, le Programme de développement durable pour 2030 a inscrit l’emploi informel comme indicateur de l’Objectif de développement durable nº 8, qui vise à « promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour toutes et tous ». Plus précisément, l’indicateur 8.3.1 mesure la proportion de l’emploi informel dans l’emploi total, par secteur et par genre.
La deuxième avancée est le développement d’ILOSTAT, le principal portail de données de l’OIT. Ce portail regroupe des données issues d’enquêtes annuelles ou trimestrielles sur les forces de travail ou d’autres enquêtes similaires auprès des ménages pour 147 pays. Ces données permettent d’identifier les travailleuse·eur·s de l’informel dans les micro-données d’ILOSTAT. Grâce à cette base, l’OIT publie des statistiques qui quantifient l’ampleur de l’emploi informel, les catégories de travailleuse·eur·s les plus exposées à l’informalité ainsi que les caractéristiques et conditions de travail des personnes occupant un emploi informel, en comparaison avec celles en emploi formel. La publication la plus récente, parue en 2023, Women and Men in the Informal Economy: a Statistical Update [Femmes et hommes dans l’économie informelle : une mise à jour statistique], illustre ces informations.
Compte tenu de l’orientation urbaine de nombreux projets de WIEGO, l’élaboration de statistiques au niveau des villes sur l’emploi informel et sur des groupes spécifiques de travailleuse·eur·s du milieu urbain –tels que les travailleuses domestiques, les travailleuse·eur·s à domicile, les commerçant·e·s de marché et vendeuse·eur·s de rue et les récupératrice·eur·s de matériaux– représente une priorité cruciale pour WIEGO et les organisations de travailleuse·eur·s.
La série de Notes d’information statistique de WIEGO aborde non seulement les aspects méthodologiques mentionnés précédemment, mais fournit également des statistiques accessibles sur l’emploi informel et des groupes particuliers de travailleuse·eur·s de l’informel. Certaines notes offrent une perspective régionale, tandis que d’autres fournissent des données spécifiques à un pays, une ville ou une agglomération. La production de ces notes répond principalement aux besoins des organisations et des réseaux régionaux et mondiaux de travailleuse·eur·s de l’informel, ainsi qu’aux équipes du programme des Politiques urbaines et des Villes focales de WIEGO.
Chronologie des Statistiques sur l'économie informelle
Cette chronologie (1997-2024) présente les principaux développements dans le domaine des statistiques sur l'emploi informel. Elle détaille le rôle fondateur de WIEGO, ses principales publications et ses efforts de collaboration avec l'OIT et d'autres entités. La chronologie met l'accent sur les progrès réalisés dans la mesure de l'emploi informel, en insistant sur les données sexospécifiques et les normes statistiques mondiales.
Autres publications statistiques
En savoir plus sur le Programme de Statistiques de WIEGO
Le programme de Statistiques de WIEGO collabore avec des statisticien·ne·s pour améliorer les méthodes statistiques qui rendront visibles l’ampleur et l’importance tant de l’économie informelle que de la situation de celles et ceux qu’elle emploie. Le programme fait la diffusion des données dans des formats accessibles.
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