L’Association des récupératrice·eur·s de Bokk Diom exige que le gouvernement tienne ses promesses d’inclusion alors que s’accélère la fermeture de Mbeubeuss, la plus grande décharge de l’Afrique de l’Ouest. Notre spécialiste local, Maguette Diop, explique que la survie de milliers de travailleuse·eur·s et de leurs familles est plus menacée que jamais.
En quoi les dernières mesures annoncées constituent une grande menace pour les récupératrice·eur·s ?
Depuis la mise en place du Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (PROMOGED) en juin 2021, les récupératrice·eur·s ne sont ni bien inclu·e·s dans le processus de décision, ni informé·e·s du suivi des mesures mises en œuvre à la décharge.
La dernière mesure annoncée fin avril force le déplacement immédiat d’un nombre significatif de récupératrice·eur·s vers un autre site de la décharge, ainsi que la vente de leurs matériaux, car ceux-ci seront incompatibles avec les nouvelles installations que le président est sur le point d’inaugurer. Or, la construction des installations doit durer encore trois mois –pendant lesquels les récupératrice·eur·s sont censé·e·s arrêter leur travail et donc, leurs revenus.
Jusque-là, la décharge fournissait les moyens de subsistance de plus de 2000 récupératrice·teur·s ainsi que de leurs familles et, selon moi, ce nombre a au moins doublé depuis le début de la pandémie. La fermeture progressive de Mbeubeuss implique qu’en perdant leur accès à la décharge, les récupératrice·eur·s perdront aussi leurs revenus.
Ces mesures sont reçues avec beaucoup d’incompréhension car elles contrastent avec les promesses du président faites en 2021 lors de sa première venue à Mbeubeuss. Il avait assuré que les récupératrice·eur·s seraient pris·e·s en compte dans un nouveau système de gestion de déchets comprenant de nouvelles normes d’hygiène.
Quels ont été les efforts de Bokk Diom pour exiger leur inclusion dans le système de gestion des déchets solides ?
Le 4 mai eut lieu une mobilisation sans précédent à Dakar, qui fut le résultat des Assemblées générales des récupératrice·eur·s sur le terrain : c'était la première fois dans l'histoire de Bokk Diom qu’une mobilisation était organisée pour protester contre une mesure des autorités. Je pense que les récupératrice·eur·s ont atteint un niveau de maturité organisationnelle qui a surpris les autorités. Bokk Diom a été reçue par le ministre de l’Urbanisme, qui s’est montré à l’écoute et a reconnu le bien fondé de leurs revendications, suivant la ligne directrice émise par le président en 2021. Les récupératrice·eur·s attendent maintenant que ces paroles rassurantes se traduisent par des actes avec des mesures véritablement inclusives.
Les récupératrice·eur·s ont organisé des conférences de presse et ont alerté la Banque mondiale –l’une des principales sources de financement de PROMOGED– sur la démarche non-inclusive du projet. Bokk Diom, en sa qualité de membre de l’Alliance internationale des récupérateurs de déchets et avec l’appui de WIEGO, a également gagné en visibilité : leurs porte-paroles sont souvent sollicité·e·s pour s’exprimer sur la gestion des déchets solides ou la pollution plastique. J’observe également une nette amélioration de leur traitement médiatique, avec davantage l’accent sur leur dignité et leur courage.
Quelles sont les propositions de Bokk Diom par rapport au PROMOGED ?
Les récupératrice·eur·s ne s’opposent pas à la création d’un nouveau système de gestion des déchets solides, mais à la non-inclusion de leur perspective et à l’invisibilisation de leur travail.
Bokk Diom souhaiterait la mise en place de mécanismes transitoires, humanisés, et structurants, pour permettre aux récupératrice·eur·s de continuer de travailler dans un système amélioré, ou bien au minimum un appui à leur mobilité professionnelle.
Bokk Diom demande la reconnaissance de leur statut et de leur le droit de travailleuse·eur·s pour que les nouveaux changements dans la gestion des déchets puissent leur garantir une transition sans qu’elle leur coûte leurs moyens de subsistance.
Quelle est votre opinion personnelle ?
Les représentant·e·s des récupératrice·eur·s doivent être consulté·e·s et mobilisé·e·s en tant que partenaires à part entière, et les mécanismes de financement doivent garantir la mise en œuvre des plans de protection des moyens de subsistance.
Selon moi, les autorités auraient tout intérêt à s’appuyer sur la coopérative déjà existante pour bâtir une politique de gestion des déchets efficace et durable, plutôt que d’essayer de créer un système en faisant table rase. Ce serait d’autant plus facile que la coopérative a déjà pour but d’investir dans toute la chaîne de récupération et de transformation des matériaux.
Entre autres options, pourquoi ne pas sécuriser les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s en leur confiant la gestion du centre de tri ? Pour cela, il faudra créer les conditions favorables et donner le temps à la coopérative de se consolider en tant que véritable fournisseur de services publics, en leur apportant un accompagnement et d’autres appuis tels que la formation technique et des subventions. Pendant cette période transitoire suffisamment longue, il faudra aussi protéger leurs moyens de subsistance.
Il me semble que la coopérative en a les capacités. Des expériences dans d’autres pays ont montré que c’était possible, comme en Argentine, en Colombie, au Brésil et en Inde.
Position de WIEGO sur la fermeture de décharges