Pendant la pandémie, alors que les récupératrice·eur·s de matériaux faisaient face au harcèlement, à l’expulsion, à la stigmatisation et à la baisse des revenus, la création de liens s’est avérée, pour beaucoup, un soutien psychologique et une stratégie de survie d’une importance capitale. Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale des récupératrice·eur·s de matériaux*, nous célébrons ces liens.
La situation est toujours difficile pour les récupératrice·eur·s de matériaux. À la mi-2021, quatre sur dix gagnaient toujours moins de 75 % de leurs revenus de l’avant-COVID, selon l’Étude sur la crise de la COVID-19 et l’économie informelle de WIEGO. Celle-ci a également révélé que les gouvernements pourraient avoir représenté une plus grande menace pour le rétablissement des moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de matériaux, en effet un·e récupératrice·eur sur huit a signalé avoir été harcelé·e par des agents de la force publique. Tandis que les gouvernements ont tardé à introduire des mesures pour protéger les récupératrice·eur·s, les organisations de travailleuse·eur·s ont, elles, rapidement réagi aux situations de crise en introduisant des changements immédiats dans leur milieu de travail.
Les exemples suivants mettent en lumière de quelle façon les récupératrice·eur·s de matériaux, malgré les défis posés par la pandémie, ont fait front commun au cours de l’année dernière afin de formuler leurs revendications auprès de leurs gouvernements, de s’entraider – psychologiquement et en s’apportant secours – et de discuter de leur avenir.
L’union des récupératrice·eur·s de matériaux organisé·e·s fait la force à Dakar, au Sénégal
Dans le cadre du programme zéro-déchets, mené par le gouvernement sénégalais, le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (PROMOGED) vise à améliorer la gestion des déchets solides dans le pays et, dans cette perspective, à restructurer puis fermer, à terme, la décharge de Mbeubeuss, à Dakar. PROMOGED est financé, entre autres, par le Groupe de la Banque mondiale.
Malgré les assurances du Président de la République d’inclure les plus de 2000 récupératrice·eur·s dans un nouveau modèle de gestion des déchets, son engagement n’a pas convaincu les travailleuse·eur·s. Par l’intermédiaire de leur organisation, appelée Bokk Diom, les récupératrice·eur·s de déchets n’ont cessé de prouver leur capacité de résilience et d’adaptation, en apportant des propositions à prendre en compte dans le cadre d’un nouveau modèle de gestion des déchets.
Bokk Diom vient de créer une coopérative, avec le soutien de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et de WIEGO, visant à améliorer leurs modalités opérationnelles, leurs compétences techniques et à bénéficier des régimes de sécurité sociale.
En outre, grâce à la naissante collaboration avec l’une des plus grandes centrales syndicales du pays, la Confédération nationale des travailleuse·eur·s du Sénégal (CNTS), l’organisation est en passe de devenir le premier syndicat national de récupératrice·eur·s de déchets, afin de faire reconnaître leur métier et d’obtenir des droits liés au travail.
À lire : Blogue de WIEGO : Il est URGENT de remettre en cause l’engagement du Sénégal à garantir les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de déchets. Le New York Times : ‘Tout le monde cherche du plastique’. L’augmentation des déchets entraîne celle du recyclage.
Nouer des liens durables au Brésil
Le projet de WIEGO CataSaúde Viraliza (« La santé dans la récup devient virale ») – un cours en ligne de renforcement des capacités – a vu le jour au Brésil en 2020 pour mieux faire connaître les protocoles concernant la COVID-19, les conditions de travail décent, les stratégies d’adaptation et le travail d’organisation. Un autre objectif important consistait à créer des liens durables entre les travailleuse·eur·s organisé·e·s et autonomes, ainsi qu’entre les récupératrice·eur·s de matériaux en Amérique latine.
L’un des grands succès du cours a été la création de relations basées sur la confiance entre les travailleuse·eur·s organisé·e·s et autonomes et les partenaires, ce qui pourrait s’avérer bénéfique dans de futures actions collectives.
Un récupérateur de matériaux non syndiqué déclarait : « Je me sens représenté par vous et ce parcours d’apprentissage et d’échange d’idées, et pas seulement sur ce que nous endurons, a été gratifiant […] Ce sont des choses qui peuvent contribuer à ce qu’un·e récupératice·eur de matériaux se sente valorisé·e, et à ce que le travail soit plus décent. »
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En Afrique du Sud, les récupératrice·eur·s de matériaux de Johannesburg portent un coup aux autorités municipales
Début 2021, la municipalité de Johannesburg, en Afrique du Sud, a annoncé son intention de faire payer aux ménages des banlieues à revenus moyens et élevés une taxe de 50 ZAR par mois (3,50 $ USD), dans le cadre d’un plan de privatisation de la collecte des matières recyclables. Ce plan menaçait les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de rue en les privant de l’accès aux matières recyclables, au profit d’entreprises privées sous contrat. Par ailleurs, la taxe n’avait aucun sens pour les résident·e·s qui se seraient vu facturé·e·s de tels services en plus de ce qu’elles·ils payaient déjà à̀ la municipalité.
S’organisant dans une campagne contre cette taxe, l’organisation de récupératrice·eur·s de matériaux d’Afrique (African Reclaimers Organisation, ARO) à Johannesburg, a lancé une pétition – recueillant près de 3 000 signatures – et mobilisé les habitant·e·s des banlieues. Elle a donné des interviews dans les médias et partagé ses objections sur les réseaux sociaux. Début mai [2021], l’ARO a déposé la pétition auprès de la municipalité de Johannesburg. Une semaine plus tard, celle-ci et Pikitup (la filiale de collecte des déchets de la ville) ont publié une déclaration annonçant la suspension du plan d’imposition de 50 rands : un grand succès pour ARO en cette période difficile.
Lire la suite sur : Arrêtez les frais de recyclage de 50 ZAR à Johannesburg, qui menacent les moyens de subsistance des récupératrice·eur·s de matériaux
L’Union syndicale des récupératrice·eur·s de matériaux d’Uruguay tient son assemblée nationale
L’Union syndicale des récupératrice·eur·s de matériaux d’Uruguay (Union de Clasificadores de Residuos Urbanos Sólidos ou UCRUS) est l’une des rares organisations syndicales de récupératrice·eur·s dans le monde. Pendant la pandémie, elle a été pour la première fois formellement intégrée dans la Confédération nationale des syndicats, le PIT-CNT, en tant qu’organisme à part entière. Lors de la sixième assemblée nationale de l’UCRUS, en octobre [2021], beaucoup de récupératrices de matériaux ont assisté à l’évènement, plus que jamais auparavant.
Entre autres sujets, l’assemblée nationale a discuté de la manière dont les régimes de Responsabilité élargie des producteurs (REP), qui émergent partout dans le monde pour forcer les producteurs à être responsables de leurs produits une fois que ceux-ci deviennent des déchets, peuvent contribuer à façonner de nouvelles formes d’organisation et influencer les négociations avec l’industrie et les municipalités. Cela souligne l’importance d’une union forte entre les différents groupes de travailleuse·eur·s.
Manifeste des récupératrice·eur·s de matériaux d’Amérique latine et des Caraïbes contre les fermetures de décharges
Au début de 2021, des leaders issu·e·s des organisations et des mouvements nationaux des récupératrice·eur·s de matériaux, faisant partie du Réseau latino-américain et caribéen de récupératrice·eur·s (RedLacre), se sont réuni·e·s de façon virtuelle toutes les deux semaines, pour discuter de questions structurelles concernant leurs consœurs et confrères ainsi que leurs organisations dans la région. L’un des problèmes principaux a été la fermeture des décharges par les autorités et l’expulsion des récupératrice·eur·s de matériaux qui en a résulté, en particulier dans la région d’Amérique centrale. Ensemble, et dans le contexte de la fermeture de ces décharges, les récupératrice·eur·s de matériaux ont élaboré un manifeste constitué de huit principes non-négociables en termes de protection de leurs moyens de subsistance.
Ce manifeste incarne un exemple important pour les récupératrice·eur·s de matériaux d’autres régions du monde, confronté·e·s à la même menace.
Lire la suite ici (en espagnol seulement).
La croissance d’une alliance mondiale de récupératrice·eur·s de matériaux
WIEGO apporte un soutien aux récupératrice·eur·s de matériaux pour les aider à créer un réseau mondial en mesure de s’en faire écho. Les récupératrice·eur·s de matériaux du monde entier discutent actuellement d’un projet de constitution. Il s’agit d’une étape importante dans un processus qui a débuté en 2008.
L’Alliance mondiale des récupératrice·eur·s de matériaux participera à la cinquième session de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA-5).
AVERTISSEMENT : CONTENU SENSIBLE
*La Journée internationale des récupératrice·eur·s de matériaux est célébrée le 1er mars en mémoire d’un massacre en Colombie, au cours duquel 11 travailleuse·eur·s ont été brutalement tués à l’Université Libre de Barranquilla après avoir été attiré·e·s dans le bâtiment par le personnel de l’université, qui leur promettait des matériaux recyclables. Cette terrible tragédie illustre la façon dont la société a historiquement dévalué et déshumanisé les récupératrice·eur·s de matériaux et met en évidence les menaces auxquelles elles·ils font face. Les récupératrice·eur·s de matériaux ne cessent de se battre pour la reconnaissance de leur métier dans le monde entier.
Photo du haut : Déchets triés dans la décharge de Mbeubeuss à Dakar, au Sénégal. Crédit : Marta Moreiras
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