Dans ces questions-réponses, Florian Juergens-Grant aborde les objectifs et l’importance de la formation de WIEGO sur le financement et l’économie de la protection sociale, qui a récemment été mise en ligne. La formation propose aux participant·e·s de découvrir les composantes essentielles des systèmes de protection sociale, ainsi que des concepts et des données sur le financement et l’économie de la protection sociale, et de savoir comment plaider sur le plan économique en faveur d’un investissement dans la protection sociale pour les travailleuse·eur·s de l’informel. Elle est aussi l’occasion de réfléchir aux principaux espaces politiques et aux stratégies de plaidoyer en faveur de la protection sociale à différents niveaux.
Pouvez-vous en dire un peu plus sur le contexte de cette formation ?
Cette formation fait partie d’un parcours triennal de développement des compétences des réseaux mondiaux de travailleuse·eur·s de l’informel. Nous avons commencé avec un groupe de représentant·e·s des réseaux mondiaux de travailleuse·eur·s de l’informel et d’organisations de travailleuse·eur·s qui comprennent la protection sociale et souhaitent approfondir leurs connaissances en la matière sur une période de trois ans.
La première formation a eu lieu en présentiel, à Nairobi, avec la participation de la Fédération internationale des travailleuse·eur·s domestiques (FITD), de HomeNet International (HNI), de StreetNet International (SNI) et de diverses organisations de travailleuse·eur·s. Puis, nous l’avons numérisée, de manière à la partager avec les personnes qui n’ont pas pu y assister. La formation est désormais disponible en ligne pour toutes les personnes qui sont concernées par les systèmes de protection sociale au niveau systémique et qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances.
Le thème de cette première année de formation est le financement et l’économie de la protection sociale. Actuellement, nous sommes en train de préparer la deuxième année, qui portera sur la protection sociale numérique. À suivre !
Pouvez-vous préciser l’objectif de la formation ?
La formation de la première année a essentiellement deux objectifs. D’une part, elle présente aux participant·e·s les composantes principales d’un système de protection sociale en tant que système solaire, avec les politiques au centre, reliées aux programmes de protection sociale et à leur mise en œuvre. En adoptant cette perspective systémique, nous visons à faire comprendre que la protection sociale est complexe et interconnectée. À différents points du système, il est possible d’obtenir des avancées pour les travailleuse·eur·s de l’informel, mais des préjudices peuvent également se matérialiser. Nous examinons les politiques, la manière dont elles sont conceptualisées et financées, les critères d’éligibilité et leur mise en œuvre pour identifier les domaines où nous pouvons apporter des améliorations et peut-être éviter des nuisances tout au long du cycle de mise en œuvre.
D’autre part, la formation a pour but de donner aux participant·e·s les moyens de participer aux débats économiques, aux processus budgétaires et financiers. Elles·Ils apprennent à plaider en faveur d’un financement accru des régimes de protection sociale dont bénéficient les travailleuse·eur·s de l’informel, à identifier les possibilités de participation et à maîtriser les processus de financement : comment se faire une idée du coût d’un programme donné et comment défendre la viabilité financière de ces régimes. Les participant·e·s ont ainsi la confiance nécessaire pour prendre part aux discussions et aux processus économiques et financiers, et disposent des outils et des données nécessaires pour plaider en faveur de dépenses plus élevées et plus efficaces. En outre, cette formation leur offre les arguments nécessaires pour s’opposer aux discours nuisibles qui ont pour effet de répercuter les coûts sur les travailleuse·eur·s de l’informel ou de réduire l’investissement.
Pourquoi cette formation est-elle importante aujourd’hui ?
D’abord, parce que le secteur de la protection sociale a pris de l’ampleur. Ces 10 à 20 dernières années, de nombreux pays ont mis en place des prestations en espèces, des assurances publiques et privées, des politiques de soins de santé, entre autres. Elles sont de plus en plus liées à d’autres secteurs, tels que la promotion de l’emploi ou le changement climatique. Toutes ces politiques et tous ces programmes – et leurs structures de mise en œuvre – sont devenus un système plus vaste et plus complexe. C’est pourquoi nous devons comprendre la protection sociale au-delà des régimes isolés. Par exemple, nous devons mieux comprendre les répercussions des politiques sur les travailleuse·eur·s de l’informel et la manière dont ces régimes sont financés.
En outre, parce qu’il s’agit d’un secteur beaucoup plus peuplé. Davantage d’acteurs font des propositions et si certaines d’entre elles sont positives, autonomisantes et progressistes, d’autres peuvent être basées sur des discours incomplets ou non fondés à propos de l’informalité et, bien qu’elles semblent apporter une solution, elles constituent en réalité des régimes qui répercutent le coût sur les travailleuse·eur·s de l’informel. Il est donc d’autant plus important pour les défenseuse·eur·s et les leaders des travailleuse·eur·s et de leurs organisations de comprendre quels régimes ont des effets bénéfiques et lesquels n’en ont pas.
Enfin, la crise du coût de la vie qui a suivi la COVID-19, conjuguée à une situation mondiale et macroéconomique difficile, y compris la réduction des aides internationales, se traduisent par une forte pression sur les gouvernements et de leur part en faveur d’une diminution des dépenses publiques. Cela rend la participation des travailleuse·eur·s de l’informel à ces débats d’autant plus importante afin de veiller à ce que la reprise économique ne se fasse pas à leurs dépens. Pour ce faire, il faut savoir faire des propositions progressistes qui mettent l’accent sur les dépenses sociales et les soins.
Si les effets nuisibles de l’austérité et du sous-investissement dans les politiques sociales n’épargnent presque personne, ils affectent particulièrement les femmes travailleuses de l’informel. À cause de leurs revenus moins élevés et de l’inégalité de la charge des soins, elles doivent faire face à des systèmes de soins et de protection sociale insuffisants, inaccessibles ou inabordables. Il est donc d’une importance capitale que les organisations qui luttent pour les droits des femmes travaillant dans l’informel soient soutenues pour qu’elles puissent plaider avec conviction en faveur d’un investissement public plus élevé dans les politiques sociales, économiques et de l’emploi qui comptent pour les travailleuses.
Comment cette formation contribue-t-elle à l’impact que les leaders des travailleuse·eur·s et leurs organisations auront sur la promotion des régimes de protection sociale favorables aux travailleuse·eur·s de l’informel ?
Les leaders des travailleuse·eur·s comprennent mieux la protection sociale en tant que système et savent où des améliorations peuvent être apportées ou des dangers peuvent être soulevés. Les participant·e·s peuvent comprendre de manière assez détaillée le fonctionnement d’un processus budgétaire, et apprendre à calculer le coût d’une proposition de protection sociale et d’une subvention à un régime de sécurité sociale. Nous constatons dans le monde entier l’importance de ces subventions pour garantir un accès abordable à la sécurité sociale aux travailleuse·eur·s à faibles revenus, en particulier aux femmes qui ont des revenus inférieurs et qui sont moins susceptibles d’être salariées et donc d’avoir un·e employeuse·eur partageant la charge du financement de la sécurité sociale.
Nous avons conçu un calculateur du coût des subventions à la sécurité sociale qui permet aux organisations de travailleuse·eur·s d’estimer, dans n’importe quel pays, le coût d’une subvention à un régime d’assurance sociale : le coût pour la·le travailleuse·eur, le coût pour le gouvernement et l’impact sur les prestations de sécurité sociale des travailleuse·eur·s.
La séance consacrée à la manière de contrer les discours nuisibles fournit aux participant·e·s des arguments clairs et des données qui témoignent des avantages de l’investissement dans la protection sociale, à utiliser dans le cadre de discussions à plus haut niveau.
Elles·Ils y découvrent également des stratégies visant à élargir la marge de manœuvre budgétaire pour la protection sociale, ce qui leur permet de proposer des options pour trouver l’argent nécessaire au financement des programmes de protection sociale lors de leurs discussions avec, par exemple, le ministère des Finances.
Des résultats concrets ont-ils été obtenus ?
À la suite du cours en présentiel, nous avons proposé une formation à l’organisation de récupératrice·eur·s de déchets Bokk Diom, basée à Dakar, qui souhaitait mieux comprendre le financement de la protection sociale. L’Alliance internationale des récupératrice·eur·s (AIR) nous a demandé de développer une version de la formation pour ses membres et la Conférence interaméricaine de la sécurité sociale (CISS) nous a demandé de présenter à ses membres l’outil de calcul des coûts de la sécurité sociale que nous avons développé pour la formation.
Comment accéder à la formation ?
La version en anglais de la formation est disponible ici. Tous les documents sont disponibles en cinq langues (sur demande à florian.juergens-grant@wiego.org), et le cours complet sera bientôt disponible aussi en espagnol.
La formation a été conçue par Florian Juergens-Grant, Aura Sevilla, Cyrus Afshar, Laura Alfers, Allison Corkery. Photo du haut : Des participant·e·s travaillant avec le calculateur de coûts de la sécurité sociale de WIEGO pendant la formation. Crédit photo : Aura Sevilla