« Na barr », qui signifie « que ça aille vite » en wolof, la langue la plus parlée au Sénégal, est le slogan de la réponse de ce pays à la COVID-19. La restructuration de la décharge de Mbeubeuss, où plus de 2000 personnes gagnent leur vie, est censée « aller vite », elle aussi. C’est pour cela que, malgré l’engagement du président à écouter les revendications des récupératrice·eur·s de déchets, ces travailleuse·eur·s seront délaissé·e·s si le projet ne les inclut pas.
Le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (PROMOGED) vise à améliorer la gestion des déchets solides dans le pays et, dans ce cadre, à restructurer et à fermer éventuellement la décharge de Mbeubeuss à Dakar. Ce projet, qui s’inscrit dans le cadre du Programme Zéro déchet du gouvernement sénégalais, est financé par la Banque mondiale, l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement (AECID) et l’Agence française de développement (AFD).
Le 24 juin 2021, lors du lancement officiel du projet PROMOGED, le président de la République, Macky Sall, a cherché à rassurer les récupératrice·eur·s de la décharge, qui s'étaient mobilisé·e·s et avaient exigé d'y être inclus·e·s. Il leur a dit : « Je tiens à rassurer les récupératrice·eur·s de déchets travaillant sur le site que leurs intérêts seront pleinement pris en compte, notamment en assurant leur participation à la gestion des déchets et en veillant à ce que leurs conditions de travail soient conformes aux normes d'hygiène, de santé, de sécurité et de sûreté. C'est un projet qui me tient à cœur et qui s'inscrit dans le cadre du Plan Sénégal Émergent. »
Cet engagement de la part de la plus haute autorité politique du pays, bien que très important dans le contexte de transformation de la décharge en cours, n'est cependant pas rassurant : quelle est la capacité du projet à soutenir l'inclusion de plus de 2000 récupératrice·eur·s dans un nouveau modèle de gestion des déchets qui ne s'appuie pas sur le système existant et qui ne tient même pas compte des rôles que ces travailleuse·eur·s y jouent ? Nous devrions déjà planifier et mettre en œuvre, au niveau de Mbeubeuss et ailleurs, un système inclusif, progressif et transitoire d'accompagnement des changements à venir, garantissant une sécurité maximale pour tou·te·s les travailleuse·eur·s.
La décharge de Mbeubeuss, ouverte depuis les années 1970, s’étend sur une surface de 115 hectares. Le plan consiste à réhabiliter la décharge et d'en transformer une partie en centre de tri, de transfert et de valorisation des matériaux recyclables, tout en réduisant sa surface à 30 hectares. Le reste sera utilisé comme espaces de loisirs et de sports, à l'instar des décharges de Tunis et d'Alger.
Malgré les menaces qui pèsent sur leurs moyens de subsistance, les récupératrice·eur·s, par le biais de leur organisation appelée Bokk Diom, font preuve de résilience et d'adaptation en apportant des réponses à prendre en compte dans le modèle proposé de revalorisation des déchets, et ce, en tenant compte de la dimension socio-économique du projet.
Bokk Diom est en train de créer une coopérative, avec le soutien de l'Organisation internationale du Travail (OIT) et de WIEGO, afin d'améliorer leurs pratiques opérationnelles et leurs compétences techniques et de bénéficier des régimes de sécurité sociale. WIEGO travaille également avec Bokk Diom pour identifier les domaines potentiels dans lesquels ses membres pourraient participer à la chaîne de gestion des déchets après la restructuration de la décharge.
De même, grâce à la récente collaboration avec la plus importante fédération syndicale du Sénégal, la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS), l'organisation a l’intention de créer le premier syndicat national des récupératrice·eur·s afin d'obtenir la reconnaissance de leur métier et de leurs droits liés au travail.
Mouhamadou Wade, le secrétaire général de Bokk Diom, m'a parlé de la détermination des récupératrice·eur·s à sécuriser leurs moyens de subsistance : « Chaque jour nous amène à croire fermement que c'est nous qui devons et pouvons changer le cours du projet, et personne d'autre. »
Tout cela doit permettre de sensibiliser les décideuse·eur·s, les services techniques, les autorités locales, les syndicats, les coopératives et les ONG aux effets nuisibles du fait d’ignorer le savoir des populations défavorisées, en l'occurrence les récupératrice·eur·s de déchets. Cette situation exige de réexaminer la logique et les objectifs des nouvelles politiques de protection de l'environnement au Sénégal afin que les parties intéressées soient au cœur de sa gestion. La stratégie de durabilité devrait être basée sur la coordination et l'intégration des récupératrice·eur·s dans les stratégies de développement locales et nationales de manière à promouvoir des approches collaboratives dans la fourniture de services, en particulier dans le secteur des déchets –un domaine qui a été identifié comme une priorité de développement–.
Pour résumer, le gouvernement devrait reconnaître que les récupératrice·eur·s font partie de la solution au problème récurrent de la gestion des déchets au Sénégal et il devrait donner donc la priorité à leur inclusion dans tous les plans pour l'avenir.
Photo du haut : Une récupératrice de déchets qui travaille à Mbeubeuss depuis 16 ans. Huit personnes dépendent de ses revenus. Photo : Marta Moreiras
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