Une véritable percée pour les vendeuse·eur·s de rue et d’autres travailleuse·eur·s de l’informel est survenue le 2 décembre 2022, lorsque la Cour constitutionnelle de l’Ouganda a invalidé les lois du pays sur le vagabondage, dans la décision Francis Tumwesige Ateenyi contre l’Attorney général. Les lois sur le vagabondage sont sous le feu des projecteurs partout dans le monde. De toute évidence, elles définissent le vagabondage de manière imprécise, permettant aux autorités, la bride sur le cou, d’appréhender arbitrairement des gens dans les espaces publics. Ces lois reflètent d’ailleurs une notion élitiste et colonialiste de l’espace public, une approche façonnant qui peut, ou ne peut pas, utiliser l’espace public à un moment ou endroit donné. Du fait que la plupart des personnes arrêtées en vertu des lois sur le vagabondage vivent dans la précarité économique, la législation finit en réalité par pénaliser la pauvreté.
Les lois sur le vagabondage dans la main, les autorités délogent ou arrêtent des travailleuse·eur·s, comme les vendeuse·eur·s de rue, qui travaillent ou circulent dans la voie publique. Dans le collimateur de l’État, beaucoup de vendeuse·eur·s de rue font face à des arrestations, au harcèlement et à des menaces d’expulsion. C’est exactement ce qui s’est passé dans le procès malawite de Mayeso Gwanda contre l’État (Cour de cassation), Action en justice constitutionnelle nº 5 de 2015. Gwanda, vendeur de rue, se dirigeait à son travail, la vente de sacs plastiques, lorsque, ne croyant pas à cette explication, la police l’a arrêté pour vagabondage. Mais Gwanda a contesté la constitutionnalité de son interpellation. Et par la suite, la Cour a terrassé la définition du vagabondage, car celle-ci laissait à la police une latitude trop grande pour décider si quelqu’un était ou non vagabond. La Cour l’a également trouvée entièrement contraire au droit constitutionnel à l’égalité. Et pour cause, les autorités sont plus susceptibles d’appliquer et faire respecter ces lois à l’encontre des personnes démunies que contre des personnes aisées.
La décision en Ouganda vient coïncider avec un mouvement en croissance en Afrique visant la réforme des lois de ce type. Plusieurs organisations travaillent main dans la main dans une campagne panafricaine en faveur de la dépénalisation des infractions mineures, dont le vagabondage. En 2017, la Commission africaine a adopté les Principes relatifs à la dépénalisation des infractions mineures en Afrique, y compris celles liées au vagabondage. Puis, dans un avis consultatif rendu public en décembre 2020, la Cour africaine des droits humains et des peuples a signalé que certaines définitions du vagabondage enfreignent éventuellement plusieurs droits : à la non-discrimination et à l’égalité, à la dignité, à la liberté, à un procès équitable, à la liberté de circulation, entre autres droits.La Cour a ainsi recommandé aux États africains d’abroger ou d’amender leurs lois combattant le vagabondage afin de se conformer à la Charte africaine des droits humains et des peuples. Dans ses Réflexions sur le droit et l’informalité, le programme Droit de WIEGO a d’ailleurs examiné les effets de cet avis consultatif sur les vendeuse·eur·s de rue.
Le procès d’Ateenyi a remis en cause la constitutionnalité de certaines sous-sections –168 (1)(c) et 168 (1)(d)– du Code pénal ougandais. En effet, ces dispositions permettaient aux autorités de soupçonner qu’est vagabond ou clochard « toute personne suspecte ou voleur notoire qui n’a pas de moyens de subsistance visibles ni ne peut justifier de sa situation », ou bien, « toute personne en état d’errance à l’intérieur ou aux alentours d’une propriété, d’une route ou autoroute, ou de leurs lieux adjacents, ou dans un lieu public quelconque, à une heure et dans des circonstances telles que sa présence laisse penser que cette personne a pour objet un délit ou des troubles à l’ordre public ». Parmi les arguments essentiels d’Ateenyi, se trouvait le fait que la police, agissant en application des dispositions sur le vagabondage, « appréhende des personnes qui ont l’air d’être indigentes, alors qu’elles vaquent à leurs affaires, telles que la vente de rue ou la conduite des boda-boda, surtout lorsque la police les repère en circulation sur les rues achalandées ou dans les quartiers résidentiels réservés à une élite ».
La Cour constitutionnelle ougandaise a estimé que les dispositions sur le vagabondage sont contraires à la Constitution, vu qu’elles transgressent plusieurs droits et principes. En première ligne des principes bafoués, celui de la légalité des poursuites puisque, selon ce principe, les infractions doivent être clairement définies dans les textes juridiques, de sorte qu’il n’y ait plus de place pour l’ambiguïté ou pour l’imprécision. D’après la Cour, en définissant l’infraction de manière imprécise, les sections susmentionnées du Code pénal n’ont pas respecté la légalité des poursuites. Cette imprécision laissait le champ libre à la police, aux procureurs et aux juges pour prendre des décisions arbitraires. Deuxièmement, la présomption d’innocence a été enfreinte parce qu’une personne pouvait être présumée vagabonde ou voyou sur la base, parmi d’autres, de « l’absence de moyens de subsistance visibles », quoi que cela signifie. Qui plus est, les droits à la liberté et à la liberté de circulation ont été aussi violés, car n’importe qui pouvait se faire arrêter ou finir en prison sur des causes ambiguës et imprécises.
Dans une décision fort décevante, la Cour a balayé l’argument selon lequel les dispositions sur le vagabondage ont pour effet la discrimination contre les personnes démunies. D’après sa conclusion, Ateenyi n’a pas réussi à révéler une telle discrimination. Il n’a effectivement fourni aucune preuve de la part des victimes appréhendées ou emprisonnées en vertu des lois sur le vagabondage. La Cour a également estimé qu’aucune mauvaise conduite policière n’a été prouvée. Cette absence de preuves peut vraisemblablement s’expliquer par la façon dont la Cour a été saisie. Dans certains cas, le droit ougandais permet aux individus de contester des lois qui ne les touchent immédiatement, sous la condition que le résultat relève de l’intérêt public. Condition remplie. En l’occurrence, Ateenyi, avocat de profession, a agi (selon les mots de la Cour) « en bon Samaritain ». Rien ne porte à penser pourtant qu’il ait travaillé avec les organisations de base, comme celles des vendeuse·eur·s de rue, dont les membres ont éventuellement été victimes de harcèlement, d’arrestations ou de persécutions au nom de ces lois. Des organisations de ce type auraient certainement apporté des preuves en soutien de la requête.
L’idéal aurait été pour la Cour ougandaise de s’appuyer sur le droit à la non-discrimination et à l’égalité afin de déclarer que les sections juridiques mentionnées sont inconstitutionnelles. Assurément, les lois sur le vagabondage contreviennent dans leur cœur même à ce droit fondamental. La Cour africaine des droits humains et des peuples a pour sa part fait observer que les lois sur le vagabondage visent injustement les personnes démunies, notamment celles qui travaillent dans l’espace public, en les privant davantage de leur droit à une présomption d’innocence devant la loi, comme pour le reste de la population. Dans ses propres mots : « Les lois sur le vagabondage répriment en réalité les pauvres et les personnes défavorisées, y compris… les travailleurs du sexe, les vendeurs ambulants… ».
Toujours est-il que l’abrogation de ces lois représente une évolution positive. En fait, la Cour ougandaise a appliqué l’avis consultatif de la Cour africaine, même si elle n’y a pas fait référence. Ce progrès renforce en outre les initiatives panafricaines pour dépénaliser le vagabondage et d'autres délits mineurs sur le continent. La décision est d’une importance particulière pour les vendeuse·eur·s de rue et d’autres travailleuse·eur·s de l’informel travaillant dans des espaces publics : elle les protège contre des actions arbitraires menées en application des lois sur le vagabondage.
Photo du haut : Des vendeuse·eur·s de rue à Accra, au Ghana. Autant d’efforts sont déployés au Ghana pour amender les lois du pays sur le vagabondage.
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