La Journée mondiale des villes de 2023 est un moment clé de réflexion alors que les villes des pays du Sud se remettent des effets de la pandémie et traversent une crise du coût de la vie dans un contexte où la dette publique ne cesse d’augmenter. En bref, la marge de manœuvre budgétaire est limitée et les villes sont en première ligne pour faire face à des crises qui s’entrecroisent. Dans ce contexte, le « financement d’un avenir urbain durable pour toutes et tous » exige une vision claire de la manière dont les gouvernements locaux et municipaux génèrent leurs revenus et fournissent des services publics à leurs habitant·e·s.
Dans les villes des pays du Sud, où la grande majorité des emplois sont informels, on observe une tendance croissante à taxer la « mine d’or cachée » que représentent les revenus de l’économie informelle. Cependant, pour financer un avenir urbain durable, les gouvernements doivent arrêter de taxer l’économie informelle mais plutôt fournir des infrastructures urbaines, des services publics de haute qualité et un design urbain inclusif. Il serait également souhaitable que les gouvernements concentrent leurs mesures de collecte d’impôts sur les riches, les personnes à hauts revenus, y compris les particuliers à valeur nette élevée, ainsi que sur les grandes entreprises.
Qu’est-ce que la « décentralisation fiscale » ?
La répartition des fonctions fiscales entre les différentes sphères du gouvernement, appelée « décentralisation fiscale », tend à confier aux autorités locales la responsabilité de la gestion de l’argent public collecté par le biais des impôts. Cette approche se justifie principalement par le fait que les gouvernements et les fonctionnaires au niveau local ou municipal sont plus proches de leurs citoyen·ne·s et sont donc plus aptes à comprendre leurs besoins en termes de prestation de services. Cette idée d’une plus grande « efficacité allocative » de la part des autorités locales prend également en compte les facteurs qui déterminent les comportements des autorités locales et leurs réponses aux besoins de leurs citoyen·ne·s. Or, la décentralisation fiscale pose un problème majeur : lorsque les décisions concernant les impôts et les dépenses sont prises au niveau local, les objectifs plus larges en matière d’équité et de redistribution peuvent ne pas s’aligner sur la politique menée à l’échelle nationale. Ce qui est peut-être encore plus inquiétant, c’est que les impôts locaux sont souvent ajoutés aux impôts nationaux et que ces paiements d’impôts « superposés » sont invisibles dans la plupart des analyses fiscales.
La réalité
Tout cela est très important pour les travailleuse·eur·s de l’informel, qui représentent la grande majorité des emplois urbains dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Les faibles ratios impôts/PIB dans ces pays signifient qu’il y a une pression constante pour améliorer la collecte de recettes. Bien qu’il y ait des preuves que les travailleuse·eur·s de l’informel paient déjà des impôts et que la grande majorité d’entre elles·eux gagnent moins que le seuil d’imposition, on a constaté ces dernières années un certain « zèle » pour les régimes d’imposition forfaitaire destinés à cibler les travailleuse·eur·s de l’informel. Les régimes forfaitaires, y compris ceux mis en place au niveau local, fonctionnent en prélevant des impôts sur les revenus « présumés » d’une entreprise de l’informel en fonction de sa taille, de sa localisation ou de son activité principale.
La pression exercée sur les autorités locales et municipales pour augmenter les recettes et fournir des services se traduit souvent par une charge fiscale régressive et inégale, en particulier pour les travailleuse·eur·s de l’informel. En conséquence, les personnes à faibles revenus paient un pourcentage plus élevé de leurs revenus en impôts, par rapport à celles qui ont des revenus plus élevés.
À Accra, au Ghana, par exemple, les assemblées municipales perçoivent une série de paiements de la part des travailleuse·eur·s de l’informel. Ces paiements se répartissent principalement en deux catégories. La première comprend des paiements dont le taux varie en fonction de la catégorie et de la taille, comme les licences d’exploitation des entreprises, qui sont perçues par l’Assemblée métropolitaine d’Accra (AMA). La deuxième catégorie comprend les redevances fixes qui sont perçues indépendamment du revenu ou du type d’activité économique. Il s’agit, par exemple, du « péage journalier », qui est principalement payé par les commerçant·e·s de marché ou les commerçant·e·s opérant à proximité immédiate des marchés urbains. Bien que chacun de ces paiements soit faible en termes absolus, ils représentent environ un quart des recettes municipales totales.
L’une des études les plus importantes et les plus récentes sur la taxation de l’économie informelle a été menée à Accra en 2022. Les résultats montrent que les travailleuse·eur·s ayant les revenus les plus faibles dans l’économie informelle d’Accra paient environ 17 % de leurs revenus bruts en impôts et paiements, ce qui représente une charge importante pour les travailleuse·eur·s de l’informel. Le plus grand bénéficiaire de ces paiements, est, de loin, le gouvernement de la ville (AMA). Environ 10 % des revenus de ce groupe de travailleuse·eur·s de l’informel sont versés à l’AMA (principalement sous la forme de frais, d’impôts et de licences d’exploitation). Il en résulte une structure de paiement et d’imposition très régressive.
Hormis une charge fiscale élevée et régressive, un autre problème posé par les régimes fiscaux municipaux réside dans le fait qu’ils enfreignent souvent le principe de l’échange fiscal. Ce principe souligne l’importance de la réciprocité dans la relation fiscale entre l’État et les contribuables. Lorsque l’imposition se fait sans prestation de services adéquate, sans accès aux infrastructures ou à l’espace public, la décentralisation fiscale n’est pas viable.
Financer un avenir urbain durable ?
Une étude récente de l’OCDE suggère que les régimes d’imposition forfaitaires devraient être accompagnés de mesures de soutien non fiscales telles que l’accès à la protection sociale ou au crédit, à la formation et aux services de développement des entreprises. L’économie informelle étant une partie essentielle de l’économie urbaine, les investissements dans les services publics et les infrastructures devraient être fournis en échange des contributions fiscales des travailleuse·eur·s de l’économie informelle.
Continuer à financer un avenir urbain en tirant davantage de recettes fiscales des travailleuse·eur·s de l’informel n’est pas une approche viable. L’avenir urbain auquel nous devrions aspirer est basé sur des économies informelles productives avec un accès à des services publics de haute qualité et à des infrastructures inclusives. Les travailleuse·eur·s de l’informel sont, dans de nombreux contextes, des contribuables volontaires et respectueuse·eux des règles, mais elles·ils ne peuvent pas financer l’avenir urbain pour toutes et tous sans un système fiscal plus équitable qui donne la priorité aux services et aux infrastructures.
Photo : L’étal d’un·e commerçant·e au marché de Tema Station à Accra, au Ghana. Crédit photo : Benjamin Forson
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