Les systèmes d’épargne et de protection sociale sont tout aussi importants l’un comme l’autre et, à un certain niveau, répondent à des besoins similaires : ils peuvent nous aider à nous frayer un chemin à travers un avenir incertain, à stabiliser la consommation lors des sommets et des creux financiers et à investir dans toutes sortes d’opportunités.
Or, il est important d’insister sur le fait que ces systèmes ne sont pas tous pareils et qu’ils suivent des principes très différents. Mettre l’accent sur l’un, au détriment de l’autre, entraîne des conséquences importantes sur l’équité et sur la sécurité des revenus.
Dans cet esprit, une réponse s’impose concernant un rapport récemment publié par la Banque mondiale, où celle-ci donne des orientations sur les modalités d’étendre la protection sociale à l’économie informelle en Afrique et ailleurs.
Le rapport comprend une présentation nuancée et riche en données du travail informel en Afrique. Il offre également des aperçus très pertinents des expériences vécues par les travailleuse·eur·s de l’informel pendant la pandémie de la COVID-19, notamment de leur accès (limité) à la protection sociale. Les auteur·e·s proposent toute une gamme d’idées, donnant matière à réflexion sur le rôle joué par le numérique dans la protection sociale, un domaine qui prend rapidement de l’importance et auquel il nous faut, toutes et tous, réfléchir davantage. Compte tenu des obstacles que rencontrent les travailleuse·eur·s de l’informel pour accéder à la protection sociale, ainsi que le peu de progrès réalisés jusqu’ici, nous devrions souhaiter la bienvenue à toute idée innovante.
Chapitre sur chapitre, de nombreuses idées intéressantes sont présentées quant à la manière de rendre opérationnelle la protection sociale des travailleuse·eur·s de l’informel, menant pourtant les auteur·e·s à une recette en matière de politiques quelque peu décevante : les comptes d’épargne individuels et volontaires ; une stratégie inadéquate et potentiellement dommageable.
Selon Nicholas Barr et Peter Diamond, les systèmes de retraite ont pour objectif ceci : garantir une consommation régulière, fournir une assurance, réduire la pauvreté et redistribuer.
Les comptes d’épargne individuels n’abordent réellement que le premier de ces objectifs. Ils peuvent contribuer à « assurer une consommation régulière » lors des périodes de hauts et de faibles revenus, en permettant aux personnes de mettre de l’argent de côté dans une réserve pour les jours de vaches maigres. Mais, pour ce qui est des autres objectifs, la proposition de la Banque mondiale n’est pas à la hauteur.
Les régimes proposés n’offrent qu’une protection limitée contre la pauvreté, car la plupart des travailleuse·eur·s les plus démuni·e·s ne gagnent tout simplement pas assez pour faire des économies quelconques, même pendant leurs années les plus productives. Les régimes ne redistribuent pas entre les personnes à revenus élevés et celles à revenus faibles : on n’obtient ce que l’on épargne individuellement (majoré des intérêts, diminué des frais de gestion et de l’inflation). Il peut y avoir une certaine redistribution si les gouvernements accordent des subventions (tel que suggéré dans le rapport) ou s’ils versent une contribution égale aux cotisations des travailleuse·eur·s, mais il faudrait que ces mesures soient d’envergure et maintenues à long terme pour faire la différence. En effet, le rapport de la Banque mondiale le dit clairement : les régimes proposés seront des affaires strictement individuelles. Enfin, ces régimes, en soi, ne pourront pas veiller à ce que les gens n’épuisent pas leur épargne de leur vivant ou que celle-ci dégage des rendements suffisamment élevés. Ces risques économiques et de « longévité » reposent exclusivement sur les épaules de chaque travailleuse·eur.
Bien entendu, on ne peut pas légitimement évaluer un seul régime vis-à-vis de tous les objectifs de retraite, dont la réalisation a tendance à reposer sur plusieurs d’entre eux. Le rapport plaide également en faveur de filets de sécurité axés sur la pauvreté. Cependant, nous savons que ceux-ci entraînent généralement une exclusion extrêmement élevée et, dans aucun cas, ne tiennent compte des personnes au-dessus des seuils de pauvreté nationaux (en Ouganda, cela comprend toute personne vivant avec plus de 0,88 à 1,04 USD par jour). Qualifier de « non-pauvre » quiconque subsistant avec moins d’un dollar par jour est tout simplement dans l’erreur. La Banque mondiale semble toutefois faire preuve de ne pas voir l’assistance directe jouer un rôle pour la plupart des travailleuse·eur·s de l’informel qui, n’étant certes pas indigent·e·s, n’en ont pas moins besoin d’aide.
À la suite des réductions substantielles et probablement durables dans les revenus des travailleuse·eur·s de l’informel, du fait de la COVID-19, le moment est venu de souligner ce qui rend la protection sociale véritablement sociale : le partage des risques, la redistribution et les garanties.
Une évaluation – à venir bientôt – menée par WIEGO d’un régime de retraite dans le secteur informel, mis en place par l’Union des associations de travailleuse·eur·s de l’informel du Ghana (UNIWA), met l’accent sur les difficultés que rencontrent ces travailleuse·eur·s pour cotiser suffisamment. En moyenne, les cotisations mensuelles n’équivalent qu’à 15 USD, soit 3 % du revenu mensuel moyen déclaré. À ce taux et compte tenu de l’âge moyen des membres (48 ans), l’épargne moyenne avec les intérêts, après correction de l’inflation, s’élèverait à seulement 2 468 USD à l’âge de 60 ans. En réalité, ce montant sera probablement inférieur, car la plupart des travailleuse·eur·s auront des discontinuités dans leurs cotisations. Il ne tient pas compte non plus de frais de gestion très élevés, facturés pendant la vie du régime.
Cela ne veut pas dire que les régimes d’épargne pilotés par les travailleuse·eur·s n’aient aucun rôle à jouer, mais va plutôt dans le sens d’avertir que, sans appui, les régimes de ce genre ne suffisent vraisemblablement pas. En effet, l’expérience de WIEGO en matière de protection sociale pilotée par les travailleuse·eur·s met en évidence le fait que, bien que ces dispositifs puissent nous « montrer la voie » quant à la manière d’atteindre les travailleuse·eur·s de l’informel et d’assurer leur inclusion active, l’absence de soutien de la part du gouvernement constitue souvent un frein pour leur portée, leur viabilité et leurs retombées.
Le rapport fait également en sorte que l’on se pose la question si le secteur de la protection sociale a tiré des leçons des privatisations des régimes de retraite, accomplies ces dernières décennies et dans une large mesure un échec. Le cas du Chili, premier pays à avoir privatisé son système de retraite, est toujours révélateur. Dans ce pays, le FMI vient de noter que le système est confronté à une « incapacité à produire des résultats adéquats pour une grande partie des participants, [une incapacité qui] ne cessera de s’amplifier » en raison de l’évolution démographique et des faibles taux d’intérêt.
Un dernier point à évoquer concerne les coûts de gestion élevés associés aux régimes de comptes individuels capitalisés, lesquels réduisent considérablement l’épargne des travailleuse·eur·s les plus démuni·e·s. Nicholas Barr nous rappelle que, sur toute la durée d’une vie professionnelle, des frais de gestion annuels de seulement 1 % diminuent une pension d’environ 20 %. Il s’agit d’un défi dont les auteur·e·s ont clairement conscience et suggèrent plusieurs voies afin de maîtriser ces coûts, principalement par l’utilisation de la technologie. Ce qui me frappe dans l’exemple du Ghana cité dans le rapport, c’est qu’il ne semble qu’aucun de ces coûts puisse être facilement réduit par le biais de la technologie :
« ... les fiduciaires peuvent facturer jusqu’à 1,33 % des actifs sous gestion par an, tandis que les gestionnaires et les dépositaires de fonds de pension peuvent facturer 0,56 % et 0,28 % supplémentaires des actifs sous gestion, respectivement. Assorti d’un prélèvement de compensation de 0,33 %, cela crée un vent de face automatique de 2,5 % que le fonds doit surmonter chaque année, en plus de l’impact de l’inflation... »
Compte tenu des faibles montants d’épargne et de la petite taille des régimes dédiés aux travailleuse·eur·s de l’informel, il existe un risque sérieux de voir les coûts administratifs – excessifs – engloutir une partie importante de leurs faibles revenus, les laissant avec une protection limitée et minant potentiellement leur confiance dans l’assurance sociale.
Je comprends qu’il est nécessaire d’adopter une approche à multiples volets afin de bâtir des systèmes globaux de protection sociale et nous devons commencer quelque part. Mais, je pense qu’il faut également se demander si l’on n’est pas en train de réintroduire des politiques qui ont, dans l’ensemble, échoué par le passé et ce sous prétexte d’offrir des solutions pragmatiques aux travailleuse·eur·s de l’informel.
Photo du haut : Abena Konadu, commerçante au marché de la station Tema Lorry à Accra, au Ghana, dit à propos des répercussions de la crise de la COVID-19 : « Mon travail s’est pratiquement effondré et pourtant mes enfants attendent toujours mon retour du travail dans l’espoir d’avoir quelque chose à manger ». Crédit : Benjamin Forson
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