Le 10 décembre marque la Journée internationale des droits humains, à l’occasion de l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains, adoptée en 1948. Ce document historique énonce une série de droits du travail « indispensables » à la dignité humaine. Il s’agit notamment du droit au travail, du droit de former des syndicats et de s’y affilier, du droit à des conditions de travail décentes et du droit à la protection sociale. Ce sont des droits dont tout le monde peut légitimement se prévaloir, sans distinction.

Les anniversaires sont des moments propices pour faire une pause et réfléchir. Dans ce cas, nous pouvons nous demander pourquoi, plus de trois quarts de siècle plus tard, ces droits restent largement inaccessibles aux deux milliards de travailleuse·eur·s dans le monde qui, selon les estimations, occupent des emplois informels. L’une des principales raisons est que le cadre juridique qui donne effet aux droits au travail, c’est-à-dire le droit du travail, établit une distinction entre les travailleuse·eur·s qui ont une relation d’emploi formelle et celles et ceux qui ne l’ont pas. Cela signifie que les travailleuse·eur·s de l’informel sont totalement exclu·e·s de la législation du travail ou que cette dernière est conçue de manière à limiter les protections et les droits qui leur sont accordés.

WIEGO a accompli un travail essentiel pour élargir la portée de la recherche et de la pratique en matière de droit du travail au-delà de ce cadre binaire. Mais les normes internationales en matière de droits humains, développées à partir de la Déclaration universelle des droits humains, peuvent jouer un rôle majeur dans la poursuite de cet objectif. En effet, le fait d’adopter le prisme des droits humains nous aide à voir, et à aborder, les défis particuliers auxquels sont confronté·e·s les travailleuse·eur·s de l’informel.

Focus sur l’action des gouvernements

L’optique des droits humains attire notre attention sur les conséquences des mesures prises par les États sur les droits des travailleuse·eur·s, dont certaines constituent une violation directe des droits humains que ces gouvernements se sont engagés à protéger, à respecter et à satisfaire. Mettre en évidence de cette incohérence est un moyen de renforcer les arguments en faveur des réformes du droit du travail. Les lois sur la liberté d’association, par exemple, peuvent créer des seuils de représentativité coûteux ou des exigences administratives pour la création de syndicats, qui peuvent être impossibles à respecter pour les organisations de travailleuse·eur·s de l’informel. De même, les travailleuse·eur·s peuvent être directement ou indirectement exclu·e·s par les critères d’éligibilité définis dans les lois sur la protection sociale.

Il est essentiel que les obligations des gouvernements en matière de droits humains s’étendent à tous les niveaux. Cela signifie que les autorités locales sont les principales « responsables » des droits des travailleuse·eur·s de l’informel. La mise en évidence de ce fait peut aider les travailleuse·eur·s de l’informel à s’opposer aux innombrables réglementations, arrêtés et ordonnances municipales qui criminalisent, restreignent ou réglementent leurs activités par une application arbitraire, discriminatoire ou corrompue.

Un nouveau regard sur la sécurité sur le lieu de travail

Le prisme des droits humains nous montre également les obstacles particuliers auxquels sont confronté·e·s les travailleuse·eur·s de l’informel en raison de l’endroit et des conditions où elles·ils travaillent. Le changement climatique augmentant la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, les travailleuse·eur·s de l’informel risquent de subir des pertes et des dommages dus à la chaleur extrême, aux inondations et aux incendies. L’argument selon lequel la planification de la transition juste doit inclure des infrastructures résilientes au climat afin de rendre ces lieux de travail sûrs peut être défendu en s’appuyant sur les droits socio-économiques consacrés par le droit international et les constitutions nationales. Ces droits garantissent à toutes et tous un logement adéquat, de l’eau potable et des installations sanitaires, ainsi qu’un environnement sain.

Il est important de noter que le droit international relatif aux droits humains stipule explicitement que les gouvernements doivent investir des ressources pour garantir ces droits. Cela soulève des questions financières. Les obligations des gouvernements en matière de droits humains en ce qui concerne la manière dont ils collectent des fonds, dont ils les attribuent et dont ils les dépensent peuvent être mises à profit par les villes qui cherchent des moyens de combler le déficit financier de l’action climatique.

Une vision globale

L’optique des droits humains élargit notre perspective vers l’extérieur, vers l’économie mondiale. Les obligations des gouvernements en matière de droits humains s’étendent au-delà de leurs frontières. Leur devoir de réglementer le secteur privé consiste à empêcher les entreprises relevant de leur juridiction de porter atteinte aux droits des personnes à l’étranger. Le droit du travail, en revanche, ne s’applique que dans le pays où le travail est effectué.

Cela est extrêmement important pour les travailleuse·eur·s qui font partie de chaînes de valeur mondiales complexes, comme les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile, les vendeuse·eur·s de rue et les récupératrice·eur·s de matériaux. Leurs conditions de travail sont déterminées par les modèles d’entreprise des sociétés transnationales, qui tirent profit de leur travail, souvent bien au-delà d’une relation d’emploi. Il est donc essentiel que les travailleuse·eur·s de l’informel soient entendu·e·s dans les débats sur l’évolution de la portée des obligations des entreprises en vertu du droit international des droits humains.

Garder le cap sur l’organisation des droits

Cela ne veut pas dire que les droits humains doivent remplacer le droit du travail en tant que cadre juridique donnant effet aux droits au travail. Au contraire, les droits humains devraient être un argument dans nos efforts pour étendre les protections du travail aux travailleuse·eur·s de l’informel. Le droit du travail offre des garanties procédurales beaucoup plus solides permettant aux travailleuse·eur·s de faire valoir et de négocier leurs droits. Par exemple, la liberté d’association est un droit du travail fondamental qui permet aux travailleuse·eur·s de renforcer leur pouvoir associatif et de négocier collectivement l’amélioration de leurs conditions de travail et leur accès à la protection sociale. En revanche, les droits humains contiennent des principes tels que la participation publique et l’engagement civique. Bien qu’ils soient toujours d’une importance cruciale, ces principes sont beaucoup plus larges.

Lorsqu’elles·ils ne peuvent pas se syndiquer, les travailleuse·eur·s de l’informel s’organisent en associations ou en coopératives. Mais cela a ses limites, car elles·ils sont soumis·e·s à des réglementations qui restreignent l’espace civique, notamment en limitant la forme que prennent les organisations de la société civile, leur mode de fonctionnement, leurs structures de gouvernance et les activités qu’elles sont autorisées à mener.

À quelques exceptions près, la question de savoir quel type de législation du travail est approprié, accessible et inclusif pour les travailleuse·eur·s de l’informel n’a pas reçu beaucoup d’attention de la part de la communauté des droits humains. Heureusement, cela commence à changer. WIEGO soutient des processus prometteurs de définition de normes dans les systèmes régionaux de droits humains d’Amérique latine et d’Afrique. Ces processus visent à identifier concrètement les mesures que les gouvernements doivent prendre pour que les promesses de la Déclaration universelle des droits humains deviennent une réalité pour tou·te·s les travailleuse·eur·s.

Photo du haut : Un vendeur de rue à Mexico. Crédit : Lorena Reyes Toledo