Un vendeur de rue leader du Gujarat, en Inde, racontait que les résident·e·s des villes le rejetaient, lui et les autres travailleuse·eur·s de l’informel, durant la pandémie. « Elles·ils éprouvaient de la haine pour les vendeuse·eur·s de rue, et les empêchaient de s’approcher... en affirmant qu’elles·ils propageaient le coronavirus », disait-il. En Malaisie, de peur que les vendeuse·eur·s de rue immigré·e·s ne répandent le virus parmi les habitant·e·s, le gouvernement a interdit aux marchés de gros d’employer d’auxiliaires d’origine étrangère.
Et tout en combattant cette stigmatisation, les vendeuse·eur·s de rue et de marché ayant le droit de travailler pendant la pandémie ont aussi supporté les frais supplémentaires liés à la santé et à la sécurité au travail.
L’analyse faite par WIEGO des conséquences qu’ont eues les lois visant la COVID-19 sur les vendeuse·eur·s de rue dans plusieurs pays –en Inde, en Malaisie, au Pakistan, aux Philippines, au Sri Lanka, en Thaïlande et au Vietnam– démontre que les lois et les réglementations concernant la santé et la sécurité des travailleuse·eur·s étaient limitées essentiellement aux lieux de travail formels, les vendeuse·eur·s de rue n’ayant pour la plupart d’autres ressources que les leurs pour obtenir des tests de la COVID-19, pour désinfecter et pour mettre en place des protocoles de sécurité.
Même avant la COVID-19, les législations nationales de santé et de sécurité au travail mettaient à l’écart les travailleuse·eur·s de l’informel, dont les vendeuse·eur·s de rue, contrairement au droit international. La Déclaration universelle des droits humains et le Pacte international des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels garantissent un environnement de travail sûr pour « toute personne », ce qui recouvre tou·te·s les travailleuse·eur·s sans distinction. De plus, le programme de l’OIT pour un travail décent insiste sur la protection des droits au travail –y compris la santé et la sécurité au travail– pour l’ensemble des travailleuse·eur·s, « que [le travail] soit organisé ou non et quel que soit le lieu de travail, que ce soit dans l’économie formelle ou informelle, à la maison, dans la communauté ou dans le secteur du bénévolat ».
Les travailleuse·eur·s de l’informel supportent les frais de la santé et de la sécurité
Les vendeuse·eur·s de rue travaillant dans des espaces publics contrôlés par les autorités locales font régulièrement face à des menaces sanitaires au travail, pour cause : la pollution de l’air, les longues périodes d’effort physique, une insuffisance ou une pénurie d’installations d’eau et de services sanitaires et l’exposition aux intempéries. Ces menaces sont exacerbées par le fait que les lois en matière de santé et de sécurité au travail ne reconnaissent ni ne prennent en compte les besoins des vendeuse·eur·s de rue, ce qui rend impossible pour celles·ceux-ci de s’en servir afin d’exiger des infrastructures et des services favorisant leur santé et leur sécurité au travail : accès à l’eau salubre, à des toilettes, à l’électricité, à l’assainissement, à l’enlèvement de déchets, à des abris et aux contrôles sanitaires. À cause de cela, les vendeuse·eur·s de rue et leurs familles supportent les coûts d’entretenir un lieu de travail sain et sûr et de se procurer des soins de santé.
Avec la COVID-19, des gouvernements ont adopté des lois et des politiques pour aider les travailleuse·eur·s à atténuer les nouveaux risques au travail. Ces instruments ont instauré des règles et des directives de comportement et ont affecté les coûts liés à la protection de la santé et de la sécurité. Notre analyse à l’échelle régionale montre que, si un certain nombre de ces lois visaient ou comprenaient les vendeuse·eur·s de rue, celles·ceux-ci n’avaient pas droit à l’ensemble des protections dont bénéficiaient les travailleuse·eur·s du secteur formel. L’analyse révèle que, même lorsqu’il y avait des dispositions spécifiques aux vendeuse·eur·s de rue, il s’agissait essentiellement d’instruments non contraignants, comme des lignes directrices par exemple. La Thaïlande a fait exception, car elle a introduit une législation obligatoire réglementant la santé et la sécurité des travailleuse·eur·s.
Dans plusieurs pays, les vendeuse·eur·s de rue ont fait l’objet de dispositions exigeant le port des masques, l’hygiène des mains et les gestes barrières dans les lieux de travail, dans les espaces publics ou sur les marchés. Mais les dispositions assignant la responsabilité des frais associés présupposaient une relation de travail dans un lieu de travail formel tel qu’une usine ou un atelier. Reconnaissant la situation désespérée de leurs membres, les organisations de vendeuse·eur·s de rue en Inde et en Thaïlande leur ont apporté des masques et du gel hydroalcoolique. Nous avons repéré quelques cas où les gouvernements en ont assumé les frais. À Delhi, les réglementations exigeaient que les corporations municipales [les administrations territoriales] désinfectent régulièrement les espaces de vente pour y vendre des articles de première nécessité, comme les produits alimentaires, mais cela ne s’appliquait qu’à des zones où le nombre de cas de COVID-19 était élevé. En Malaisie, si les autorités locales ont désinfecté les marchés et les zones commerciales, les lois visant la COVID-19 ne l’exigeaient pas expressément et les vendeuse·eur·s de rue ne pouvaient donc pas revendiquer ce droit.
Amener les pouvoirs publics à assumer la responsabilité de la santé et de la sécurité des vendeuse·eur·s de l’informel
Les tests de la COVID-19 étaient un domaine dans lequel les gouvernements ont assumé la charge financière des mesures de prévention. Aux Philippines, les vendeuse·eur·s de marché ont été reconnu·e·s comme des travailleuse·eur·s économiques prioritaires et donc éligibles aux tests trimestriels. En Malaisie, les autorités ont visé quelques marchés pour effectuer des tests. Cependant, le ciblage des vendeuse·eur·s de rue s’est avéré une arme à double tranchant puisque, dans certains cas, celles·ceux-ci avaient l’impression que les tests étaient motivés par des préjugés. Au Sri Lanka, un·e vendeuse·eur a dit que « la police effectuait des tests au hasard comme si nous étions la seule foule vulnérable »
La crise de la COVID-19 a mis au nu les inégalités structurelles causées par la non-reconnaissance des vendeuse·eur·s de l’informel comme des travailleuse·eur·s ayant droit au travail et à la protection du travail. Les analyses faites par WIEGO des lois qui ont réglementé le travail informel en Afrique et en Amérique latine lors de la pandémie fournissent des preuves supplémentaires à ce propos.
Quelques exemples à l’échelle des villes et des pays pourraient toutefois servir de leçon aux autres. La Namibie a adopté des lois imposant aux autorités locales une obligation de fournir de l’eau, de l’assainissement et des toilettes. En Amérique latine, la Bolivie a placé la responsabilité de désinfecter les marchés publics sur les autorités locales. On peut se demander si celles-ci ont les moyens d’assumer la responsabilité financière associée à ces obligations. Voici notre contre-argument : comment les autorités locales peuvent-elles ne pas se permettre d’investir dans des mesures susceptibles d’accroître la productivité des travailleuse·eur·s qui contribuent de manière importante au développement économique local ? Les vendeuse·eur·s de rue paient divers impôts, taxes et redevances ; elles·ils apportent de la diversité et de la vitalité aux économies locales ; et celles·ceux qui vendent des denrées alimentaires favorisent la sécurité alimentaire en offrant des choix de produits accessibles. Qui plus est, les vendeuse·eur·s de rue créent des emplois, y compris pour les personnes dispensant des services auxiliaires comme la sécurité et le transport.
Les droits de « toute personne » ou de « tout·e travailleuse·eur » énoncés dans le droit international devraient servir de base pour bâtir des villes plus inclusives. L’atteinte de la santé et de la sécurité dans les lieux de travail publics nécessitera de fournir et d’entretenir les infrastructures physiques et autres. Les vendeuse·eur·s de rue et de marché ont besoin d’une législation leur permettant d’amener les pouvoirs publics à assumer la responsabilité d’offrir ces infrastructures et un environnement de travail sûr. Dans la réalisation de ces droits, il faudrait faire en sorte que les voix des travailleuse·eur·s soient entendues à toutes les étapes, en faisant bien attention à l’appel des organisations de travailleuse·eur·s de l’informel telles que Streetnet International : « Rien pour nous, sans nous ».