WIEGO et StreetNet International (SNI) ont suivi de près les tendances mondiales du secteur de la vente de rue en 2024. En nous appuyant sur les réflexions de nos équipes et de nos membres, sur les informations diffusées par les médias et sur de nouvelles recherches, nous examinons les menaces nouvelles et croissantes, mais aussi les victoires importantes que les vendeuse·eur·s organisé·e·s ont remportées pendant cette dernière année. Ceci nous permet de connaître l’état du secteur et nous indique les tendances à surveiller en 2025 et au-delà.

Les effets des changements climatiques menacent les moyens de subsistance des vendeuse·eur·s de rue

2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée. Puisque leur métier est exercé en plein air, les vendeuse·eur·s de rue font face à des conséquences parmi les plus sévères des changements climatiques. Cette année, les vendeuse·eur·s de rue tant de la brûlante Delhi, en Inde, que de la plus tempérée Portland, aux États-Unis, ont connu les effets de la chaleur extrême. La Fédération nationale de l’Inde de vendeuse·eur·s de rue (National Hawkers Federation), en partenariat avec Greenpeace, a analysé l’impact de la chaleur sur les vendeuse·eur·s, en mettant en évidence les conséquences graves sur la santé et les revenus de ces travailleuse·eur·s. WIEGO et des partenaires ont appelé à l’inclusion des vendeurs de rue dans les plans d’action face à la chaleur et de préparation aux changements climatiques.

Dans le sud du Brésil, des inondations dévastatrices ont déplacé des centaines de milliers de personnes, tué des centaines de personnes et détruit des infrastructures. Le syndicat affilié à StreetNet UNICAB a estimé que 3 000 vendeuse·eur·s de rue étaient concerné·e·s dans la seule ville de Porto Alegre.

Parallèlement, les organisations de base (OB) des travailleuse·eur·s de l’informel ont innové pour protéger leurs membres. L’Association des femmes indépendantes (SEWA), par exemple, a lancé une assurance revenu en cas de chaleur extrême qui indemnise automatiquement les travailleuses en cas de perte de revenu lorsque les températures dépassent 40 °C.

Les campagnes d’expulsion violentes et très médiatisées se poursuivent dans certaines villes africaines

Dans certaines villes africaines, les vendeuse·eur·s de rue connaissent depuis longtemps des expulsions à grande échelle, souvent à l’initiative de personnalités politiques de premier plan, notamment dans le cadre de l’opération « Clean Sweep » (Grand ménage) à Johannesbourg en 2013 et de l’opération « Make Accra Work Again/Clean Your Frontage » (Remettons de l’ordre à Accra/Nettoyez votre façade) en 2022.

En 2024, cette tendance s’est maintenue. À Abidjan, en vue de la Coupe d’Afrique des Nations et au nom du « nettoyage de la ville », le gouvernement a lancé la « Brigade de lutte contre le désordre urbain ». Le commerce de rue a été interdit et des forces armées sont intervenues pour expulser les vendeuse·eur·s, entraînant de nombreux incidents de brutalité de la part des forces de l’ordre.

Au Zimbabwe, les vendeuse·eur·s de rue font face depuis longtemps à un harcèlement particulièrement sévère et incessant. En 2024, le gouvernement a lancé un nouveau cycle d’expulsions, interdisant la vente de rue dans les zones rurales et urbaines dans le cadre d’une campagne coordonnée. La Chambre des associations de l’économie informelle du Zimbabwe, affiliée à StreetNet, a déclaré que ses membres sont resté·e·s « traumatisé·e·s ».

Les vendeuse·eur·s de rue des pays du Nord voient s’inverser leurs anciens acquis

Aux États-Unis, les vendeuse·eur·s de rue ont fait à nouveau l’objet d’interdictions et d’actions punitives. À New York, l’application de la réglementation sur la vente a été pratiquement interrompue pendant la pandémie, et les vendeuse·eur·s ont obtenu une victoire : la levée du plafond des licences. Cependant, en 2024, malgré l’engagement de ne plus confier au service de police le contrôle de la vente, la police a de nouveau expulsé des vendeuse·eur·s. Le nombre d’amendes dépasse désormais les niveaux d’avant la pandémie. En novembre 2024, les électrice·eur·s ont approuvé des mesures visant à renforcer l’application de la loi, ce qui pourrait indiquer une intensification du harcèlement en 2025. Des régressions similaires ont été constatées dans les villes californiennes. Partout aux États-Unis, les médias font état de multiples agressions contre des vendeuse·eur·s de rue, probablement liées à la montée de l’hostilité à l’égard des personnes migrantes.

Les entreprises continuent de recourir à des vendeuse·eur·s de rue indépendant·e·s pour la distribution

Les entreprises tirent depuis longtemps profit de l’accès des vendeuse·eur·s de rue à une clientèle à faible revenu et à des marchés locaux difficiles d’accès. Nestlé, Coca Cola et Unilever ne sont que quelques-unes des entreprises qui utilisent les vendeuse·eur·s de rue comme distributrice·eur·s du « dernier kilomètre », en leur transférant les risques, mais sans leur fournir de soutien ou de protection sociale. Cette année, l’analyse des nouvelles concernant les vendeuse·eur·s de rue révèle que cette tendance se poursuit, de même que l’utilisation par les entreprises de ces travailleuse·eur·s à des fins publicitaires, en leur fournissant des produits de leur marque, tels que des parapluies et des chariots. Au Ghana, FanMilk a lancé une « académie » pour des milliers de vendeuse·eur·s impliqué·e·s dans la vente de ses produits, soi-disant pour les aider à devenir des entrepreneuse·eur·s indépendant·e·s.

Les efforts pour limiter et taxer les vendeuse·eur·s se multiplient

Il y a dix ans, Bangkok a instauré une interdiction des vendeuse·eur·s de rue qui a déstabilisé l’économie des ménages et de quartiers entiers. En 2024, l’autorité municipale de Bangkok a introduit de nouvelles mesures pour limiter la vente de rue, exigeant que l’ensemble des vendeuse·eur·s et leurs assistant·e·s soient de nationalité thaïlandaise et ne gagnent pas plus de 300 000 bahts (environ 9 000 USD) par an. Ces travailleuse·eur·s doivent également prouver l’acquittement de l’impôt sur le revenu. Cette mesure est à la fois anti-vendeuse·eur·s et anti-migrant·e·s, et pourrait devenir un modèle de référence pour d’autres villes de la région.

En cette période postpandémique, la taxation du secteur informel fait l’objet d’une attention particulière, les commerçant·e·s de marché et les vendeuse·eur·s de rue constituant une cible privilégiée des autorités fiscales. Par exemple, le Caucus africain du FMI et de la Banque mondiale a appelé les gouvernements d’Afrique à « intensifier la mobilisation des ressources nationales » en assurant une « transition vers l’économie formelle ». Plusieurs gouvernements d’Afrique ont de ce fait introduit de nouvelles taxes sur l’argent mobile. Les recherches de WIEGO montrent toutefois que les travailleuse·eur·s de l’informel paient déjà une série d’impôts et de taxes. Des recherches menées au Ghana révèlent que les charges fiscales pèsent de manière disproportionnée sur les commerçant·e·s de marché et les vendeuse·eur·s de rue, ainsi que sur les personnes à faible revenu.

Le pouvoir des vendeuse·eur·s de rue lutte contre les mesures punitives

Cette année, face aux multiples crises – climat, coût de la vie et gouvernance hostile – les vendeuse·eur·s de rue organisé·e·s ont exercé leur pouvoir et obtenu des avancées significatives. Plusieurs expulsions ont été suspendues après la mobilisation des travailleuse·eur·s de ce secteur dans le cadre d’une action collective. À Brasilia, par exemple, des vendeuse·eur·s de rue ont uni leurs efforts à ceux d’autres mouvements sociaux alliés et ont réussi à faire annuler l’interdiction de la vente de rue sur un marché dominical très fréquenté.

L’année 2024 a commencé par une expulsion dévastatrice pendant la nuit pour les vendeuse·eur·s de rue du quartier de Comas à Lima, au Pérou. Leurs espaces de vente ont été ravagés et les infrastructures des rues et des trottoirs ont été détruites au bulldozer, ce qui a empêché les vendeuse·eur·s de revenir. Elles·Ils ont réagi en se mobilisant massivement, et en suscitant une grande attention de la part des médias, et ont ainsi réussi à dissuader la municipalité de continuer à utiliser des tactiques violentes.

À Casablanca, au Maroc, les vendeuse·eur·s de rue ont formé un mouvement de résistance organisé, baptisé « Non à la libération du domaine public sans alternatives », après une importante opération d’expulsion des vendeuse·eur·s et de restructuration des marchés de la ville.

Des vendeuse·eur·s de rue venant aussi bien de San Diego, aux États-Unis, que de Cali, en Colombie, ont entamé des actions en justice individuelles pour contester leur expulsion. En Colombie, cette action en justice a été fructueuse et a abouti à un arrêt de la Cour constitutionnelle qui a établi que le droit au travail des vendeuse·eur·s de rue était plus fondamental que la seule protection de l’espace public, ce qui pourrait avoir des conséquences considérables sur les expulsions à l’avenir.

Les tendances à surveiller en 2025

Si les gouvernements ne prennent pas de mesures pour protéger les vendeuse·eur·s de rue pendant et après les phénomènes météorologiques extrêmes, les effets des changements climatiques, en particulier les chaleurs extrêmes et les inondations, continueront à les affecter profondément. Outre les demandes de longue date des vendeurs de rue concernant l’amélioration des infrastructures, l’assurance contre la chaleur de SEWA constitue un modèle innovant de protection des moyens de subsistance.

La victoire de Trump aux États-Unis va probablement renforcer et inspirer les personnalités politiques de droite dans le monde entier, y compris au niveau local. Les expulsions menées par ces leaders querelleuse·eur·s à la recherche d’une tribune pour montrer leur pouvoir et leur autorité pourraient bien s’intensifier. Partout dans le monde, les vendeuse·eur·s de rue doivent se préparer à une poursuite de la répression, à des mesures sectaires et à la volonté des gouvernements d’invisibiliser les communautés les plus démunies par le biais de campagnes de « nettoyage ». Parallèlement à ces tendances politiques, les phénomènes climatiques, les conflits armés et l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle risquent d’entraîner une volatilité économique, des pertes d’emplois et une augmentation des migrations, facteurs qui pourraient tous avoir une incidence sur la taille du secteur et les conditions de travail.

Cependant, comme en témoigne l’année 2024, les vendeuse·eur·s de rue sont organisé·e·s dans des villes du monde entier et constituent un mouvement international de plus en plus fort représenté par StreetNet International. Leur capacité à résister aux menaces croissantes sera renforcée par l’union des forces avec des groupes militant pour l’environnement, les droits des femmes et la démocratie, ainsi qu’avec d’autres mouvements du travail. Les vendeuse·eur·s de rue font de plus en plus l’expérience d’approches « du bas vers le haut » de la transition vers l’économie formelle, telles que les alternatives de l’économie sociale et solidaire. En s’organisant et en innovant, ces travailleuse·eur·s peuvent renforcer leur pouvoir d’influence et rompre avec les tendances inquiétantes que nous avons observées dans leur secteur en 2024.

Irene Doda est assistante médias à StreetNet International. Photo du haut : Vendeuse·eur·s de légumes à Indore, en Inde. Crédit photo : Brenda Leifso, WIEGO