Le dialogue et la collaboration entre les statisticien·ne·s et les usagers de statistiques sont essentiels pour produire des données pertinentes qui éclairent les politiques publiques. Les informations présentées ci-dessous visent à aider les usagers des statistiques à optimiser l’exploitation des données disponibles et à engager un dialogue avec celles et ceux qui produisent ces statistiques, afin de mieux répondre aux besoins en données sur l’emploi informel.
Définition de l’emploi et du travail
Pour bien comprendre les statistiques du travail, il est important de rappeler la définition de « l’emploi », y compris les modifications. En effet, la 19e Conférence internationale des statisticien·ne·s du Travail (CIST) a adopté la Résolution concernant les statistiques du travail, de l’emploi et de la sous-utilisation de la main-d’œuvre, modifiée par la suite lors de la 21ᵉ CIST (Résolution II). Selon ces documents, l’emploi est défini comme une « forme de travail réalisé pour des tiers en échange d’une rémunération ou d’un profit ». Cette définition exclut désormais certaines activités précédemment considérées comme un emploi, telles que le travail de production pour la consommation personnelle, qui comprend la production de biens et de services destinés à l’usage final personnel, comme l’agriculture de subsistance. Ces autres formes de travail sont mesurées séparément.
Les bureaux nationaux de statistique ont commencé à appliquer la définition de l’emploi formulée dans les résolutions mentionnées, mais cela n’est pas systématique.
Résolution afin d’amender la résolution concernant les statistiques du travail, de l’emploi et de la sous-utilisation de la main-d’oeuvre
Importance de la Classification internationale des statuts d’emploi (CISE) et de ses composantes
La Classification internationale des statuts d’emploi (CISE) constitue l’une des classifications internationales les plus essentielles pour les statistiques du travail. Elle vise à définir les éléments clefs des relations d’emploi, à savoir, si les travailleuse·eur·s jouissent d’une autonomie dans la gestion ou l’exécution de leurs activités professionnelles, ou si elles·ils engagent leurs propres ressources (financement, équipement) dans leur travail.
En 2018, la Conférence internationale des statisticien·ne·s du Travail (CIST) a approuvé un nouveau système de classification, la CISE-18, remplaçant la CISE-93, qui était en vigueur depuis 1993. Bien que la CISE-18 soit désormais la norme officielle, sa mise en œuvre complète par les pays prendra du temps.
Pour les statistiques sur l’emploi informel, le statut d’emploi des travailleuse·eur·s est déterminant pour classer leur travail comme formel ou informel. La CISE-18 a été conçue pour intégrer l’évolution des formes d’emploi et des relations de travail, en tenant compte des conditions actuelles de l’emploi. Par exemple, certain·e·s travailleuse·eur·s perçoivent leur rémunération « sous forme de profit », ce qui les place dans la catégorie de l’emploi indépendant, sans toutefois avoir autorité ou contrôle sur l’organisation du travail, ni accès au marché. Parmi ces travailleuse·eur·s figurent les travailleuse·eur·s à domicile de l’industrie, les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s à domicile (qui reçoivent des commandes via un·e intermédiaire et produisent selon des spécifications, sans pour autant être salarié·e·s), les agricultrice·eur·s sous contrat, ainsi que les travailleuse·eur·s des plateformes numériques. La CISE-18 a donc créé une nouvelle catégorie pour les travailleuse·eur·s dont la rémunération dépend d’un profit : les travailleuse·eur·s non salarié·e·s dépendant·e·s. Ces travailleuse·eur·s ne sont pas salarié·e·s d’une unité économique, mais dépendent d’elle pour l’organisation et l’exécution de leur travail sans en avoir le contrôle.
La CISE-18 clarifie également la définition des travailleuse·eur·s familiales·aux collaborant à l’entreprise en précisant qu’elles·ils « ne prennent pas les décisions les plus importantes concernant l’entreprise et leur responsabilité n’est pas engagée ». Cette clarification permet de mieux classer les travailleuses, souvent impliquées dans les entreprises familiales : si elles participent aux décisions, elles doivent être considérées comme travailleuses indépendantes ; si elles sont rémunérées, comme salariées.
La CISE-18 introduit une distinction entre travailleuse·eur·s indépendant·e·s et dépendant·e·s, par le biais des catégories ci-dessous :
Travailleuse·eur·s indépendant·e·s :
- Employeuse·eur·s :
11 – Propriétaires-gérant·e·s de sociétés avec salarié·e·s
12 – Entrepreneuse·eur·s individuel·le·s avec salarié·e·s
- Travailleuse·eur·s indépendant·e·s sans salarié·e·s :
21 – Propriétaires-gérant·e·s de sociétés sans salarié·e·s
22 – Entrepreneuse·eur·s individuel·le·s sans salarié·e·s
Travailleuse·eur·s dépendant·e·s :
- Non-salarié·e·s dépendant·e·s :
30 – Non-salarié·e·s dépendant·e·s
- Salarié·e·s :
41 – Salarié·e·s occupant un emploi à durée indéterminée
42 – Salarié·e·s occupant un emploi à durée limitée
43 – Salarié·e·s occupant un emploi à court-terme ou occasionnel
44 – Apprenti·e·s, stagiaires et autres travailleuse·eur·s en formation rémunéré·e·s
- Travailleuse·eur·s familiales·aux :
51 – Travailleuse·eur·s familiales·aux collaborant à l’entreprise
Le statut d’emploi des travailleuse·eur·s permet de déterminer les critères nécessaires pour classer l’emploi comme formel ou informel. Les catégories de la CISE jouent donc un rôle crucial dans la mesure de l’emploi informel.
Résolution concernant les statistiques sur les relations de travail
International Classification of Status in Employment (ICSE-18) Manual
Définition de l’emploi informel
En 2023, la 21e Conférence internationale des statisticien·ne·s du Travail a, par une résolution, clarifié la définition de l’emploi informel. Elle a également établi des normes statistiques pour renforcer la cohérence des mesures et harmoniser les rapports entre les pays concernant les niveaux et les caractéristiques de l’informalité :
« L’emploi informel est défini comme toute activité exercée par des personnes visant à produire des biens ou à fournir des services en échange d’une rémunération ou d’un profit qui, en droit ou en pratique, n’est pas couverte par des dispositions formelles comme les lois sur le commerce, les procédures de déclaration des activités économiques, l’imposition des revenus, le droit du travail et les lois et réglementations sur la sécurité sociale qui assurent une protection contre les risques économiques et personnels associés à la réalisation de l’activité considérée »- Résolution I de la 21e CIST, par. 56
Cette résolution souligne que les critères pour déterminer le statut de travail d’une personne dépendent à la fois des caractéristiques de l’unité économique et de celles du statut d’emploi, en tenant compte de l’environnement réglementaire. Les personnes occupant un emploi informel ou travaillant dans le secteur de la production pour le marché peuvent être classées dans le secteur informel ou formel, « selon le secteur auquel appartient l’unité économique pour laquelle elles travaillent ou, dans le cas des non-salariés dépendants, selon leur statut formel au regard du cadre juridique et administratif du pays » (Résolution I de la 21e CIST, par. 63).
Un malentendu fréquent est de croire que l’emploi informel n’existe que dans le secteur informel. En réalité, il est présent aussi bien dans le secteur informel qu’en dehors, notamment dans le secteur formel, comme précisé ci-dessous.
Résolution concernant les statistiques de l’économie informelle
Le « secteur informel » et les types de travailleuse·eur·s concerné·e·s
Les termes « secteur informel » et « secteur formel » se réfèrent au statut des unités économiques dans lesquelles se trouvent les emplois, qu’il s’agisse d’entreprises comptant plusieurs travailleuse·eur·s ou de structures économiques individuelles, comme celles dites « pour compte propre ».
Selon la Résolution I de la 21e CIST, le secteur informel, à des fins statistiques, se définit ainsi :
« Il comprend des unités économiques qui produisent des biens et des services principalement destinés au marché dans le but d’obtenir un revenu et un profit mais qui ne sont pas formellement reconnues par les autorités publiques comme des producteurs marchands distincts et ne sont donc pas couvertes par des dispositions formelles ». Ces unités économiques sont dénommées « entreprises marchandes informelles des ménages non constituées en sociétés »- (par. 40)
De la sorte, les entreprises marchandes informelles se caractérisent notamment par : leur non-appartenance aux administrations publiques ; leur non-inscription dans un registre public ; leur absence de statut juridique distinct de celui de leurs propriétaires ; et leur non-tenue de comptes complets pour des obligations fiscales (par. 40).
Pour les travailleuse·eur·s indépendant·e·s en particulier, le statut informel ou formel de l’unité économique détermine également si l’emploi est informel ou formel. Ainsi, les travailleuse·eur·s indépendant·e·s dont l’unité économique est informelle occupent donc un emploi informel.
Parmi les travailleuse·eur·s du secteur informel, on retrouve :
- Travailleuse·eur·s indépendant·e·s (qu’elles·ils soient employeuse·eur·s ou entrepreneuse·eur·s individuel·le·s sans salarié·e·s) qui gèrent une entreprise marchande informelle des ménages non constituée en société et en sont propriétaires ou copropriétaires.
- Non-salarié·e·s dépendant·e·s sans statut formel au regard du cadre juridique et administratif ou dont les activités ne sont effectivement pas couvertes par des dispositions formelles. (Le secteur des non-salarié·e·s dépendant·e·s reflète leur statut formel ou informel par rapport au cadre administratif légal du pays).
- Salarié·e·s dans des unités économiques informelles.
- Travailleuse·eur·s familiales·aux collaborant à l’entreprise marchande informelle du ménage non constituée en société.
L’emploi informel en dehors du secteur informel
L’emploi informel existe également en dehors du secteur informel, soit dans les entreprises appartenant au secteur formel et dans les ménages. Cela comprend :
- Salarié·e·s dans des unités économiques formelles si leur relation d’emploi n’est pas formellement reconnue dans la pratique par l’employeuse·eur au regard du cadre juridique et administratif du pays, ou n’est pas associée à un accès effectif à des dispositions formelles, telles que la législation nationale du travail ou de la protection sociale assurant une « protection contre les risques économiques et personnels associés à la réalisation de l’activité considérée ».
- Travailleuse·eur·s familiales·aux collaborant à l’entreprise d’une unité économique formelle si leurs les relations de travail ne sont pas formellement reconnues dans le cadre juridique et administratif du pays, ou ne sont pas associées à un accès effectif à des dispositions formelles.
- Travailleuses domestiques en dehors de la portée de la législation nationale du travail et des lois et réglementations sur la protection sociale, par exemple, les congés annuels payés ou les congés de maladie liés à l’emploi.
Définition de l’économie informelle
D’un point de vue statistique, « l’économie informelle » inclut toutes les activités productives informelles réalisées par des individus ou des unités économiques, que ces activités soient exercées contre rémunération ou non (Résolution I, par. 1 et 13).
Pour WIEGO, qui se concentre sur les activités exercées en échange d’un paiement ou d’un profit –c’est-à-dire le marché–, la définition de l’économie marchande informelle est ainsi privilégiée.
« À des fins statistiques, le concept de “l’économie marchande informelle” se définit comme toute la production en échange d’une rémunération ou d’un profit du secteur informel et toutes les activités productives des travailleurs en emploi qui ne sont pas –en droit ou en pratique– couvertes par des dispositions formelles. »- Résolution I de la 21e CIST, par. 18
En d’autres termes, l’économie informelle englobe non seulement l’emploi mais aussi la contribution de ces travailleuse·eur·s à la production nationale (Produit Intérieur Brut).
Le lien entre emploi informel et formes atypiques de travail
Le concept d’emploi informel s’impose de plus en plus comme un outil pertinent dans les statistiques des pays développés, car il recouvre une diversité croissante de formes d’emploi qui diffèrent des emplois dits « typiques » des pays industrialisés pendant une bonne partie du 20e siècle. Ces emplois, traditionnellement stables, étaient associés à des droits du travail et à une protection sociale complète.
Aujourd’hui, l’emploi « atypique », terme englobant de nouvelles formes d’emploi, inclut les postes temporaires, les emplois de courte durée (contrats à durée déterminée ou intermittents), les contrats « zéro heure », les emplois à temps partiel et l’emploi occasionnel. Récemment, le travail via des plateformes numériques s’est développé : ces emplois, de courte durée, sont gérés avec une implication minimale de l’entreprise de la plateforme, considérant fréquemment ces travailleuse·eur·s comme indépendant·e·s plutôt que comme salarié·e·s.
Une caractéristique commune de nombreuses formes d’emploi atypiques, dans les pays développés comme dans d’autres régions, est que les travailleuse·eur·s peuvent ne pas être protégé·e·s par les normes du travail et avoir un accès limité, voire inexistant, à la protection sociale liée au travail. D’où l’intérêt croissant de mesurer l’emploi informel afin de recouvrir ces diverses formes d’emploi et de fournir des informations globales sur les travailleuse·eur·s occupant des emplois qui, en pratique ou en droit, ne bénéficient pas de dispositifs de protection formelle. Les estimations mondiales de l’OIT sur l’emploi informel intègrent de nombreux pays développés, soulignant ainsi la pertinence de ce concept pour analyser l’emploi dans toutes les économies.
Un mot sur les outils pour la collecte de données
Les enquêtes auprès des ménages consistent en des questionnaires administrés à un échantillon de ménages représentatif de la population. Le programme de Statistiques de WIEGO s’appuie principalement sur les enquêtes réalisées par les bureaux nationaux de statistiques, notamment les enquêtes sur les forces de travail (EFT), les enquêtes sur les recettes et dépenses des ménages et celles sur les niveaux de vie, souvent conduites sur les instructions de la Banque mondiale.
Citizen Data, une initiative conjointe de la division des statistiques de l’ONU et d’ONU Femmes, mobilise la participation des citoyen·ne·s lors de la conception et de la collecte des données. Ce type de données est particulièrement précieux pour les groupes sous-représentés dans les statistiques officielles, tels que les récupératrice·eur·s de matériaux. La note d’information statistique n° 39 de WIEGO, intitulée Statistiques sur les récupératrice·eur·s de matériaux : un guide des cas d’étude, décrit comment des citoyen·ne·s collectent des données sur les récupératrice·eur·s dans trois villes et dans un pays.