Nouvelle étude WIEGO à Dakar
Les récupératrice-eur-s de déchets ont perdu quasiment la moitié de leurs revenus pendant la première vague de la COVID-19.
Dakar, jeudi 1er avril 2021. - Un an après le début de la pandémie, WIEGO publie une nouvelle étude inédite1 sur l’impact de la crise de la COVID-19 pour les récupératrice-eur-s de déchets travaillant à la décharge de Mbeubeuss à Dakar. Ces travailleuse-eur-s informel-le-s durement touché-e-s, particulièrement les femmes, ont basculé dans une précarité sans précédent et ont urgemment besoin d’un appui mais également de reconnaissance et d’un engagement fort des autorités pour surmonter ce choc.
L’étude révèle que si l’immense majorité des récupératrice-eur-s ont continué à travailler malgré la maladie et les risques, quasiment tou-te-s ont constaté une baisse importante de leurs revenus liée à la perturbation du marché, de la chaîne d’approvisionnement ou encore du bouleversement de leurs conditions de travail rendues encore plus pénibles avec la COVID-19. Le revenu des récupératrice-eur-s en juin 2020 représentait à peu près la moitié de son revenu médian avant la COVID-19. Malgré cela, elle-il-s ont assuré en pleine crise sanitaire un service essentiel pour la santé et l'amélioration du cadre de vie des dakarois.
« Cette étude a été menée dans 12 villes à travers le monde et il ressort que Dakar est l’une des villes où les travailleuse-eur-s informel-el-s interrogé.e.s ont reçu le moins d’appui de la part du Gouvernement » précise Adama Soumaré, Représentant local du réseau mondial Femmes dans l’emploi informel : globalisation et organisation (WIEGO, par son acronyme en anglais).
L’apport d’une aide alimentaire urgente et la prise en charge concrète de la santé des récupératrice-eur-s dans la décharge de Mbeubeuss doivent être une priorité. Alors que près d’un tiers des ménages interrogés ont déclaré souffrir de la faim, seule 1 personne sur 10 a bénéficié d’une aide alimentaire.
Les femmes font face à un double choc, subissant la diminution de leurs revenus et voyant leurs responsabilités domestiques augmenter notamment avec la garde des enfants ou encore le soin des malades ou des ainé-e-s. « Pour nous les femmes, les difficultés sont nombreuses, nous avons été très affectées par la COVID-19 et nous n’avons reçu aucune aide des collectivités locales qui nous entourent » témoigne Madame Adjia Seyni Diop, Présidente du comité des femmes récupératrices de Mbeubeuss.
Par ailleurs, la pandémie a souligné le travail essentiel que réalisent les récupératrice-eur-s de matériaux recyclables dans la gestion des déchets, enjeu majeur au Sénégal tant d’un point de vue environnemental que pour la santé publique. Ils contribuent quotidiennement au respect de l´environnement sans être reconnu.e.s à leur juste valeur. Les autorités sénégalaises doivent reconnaître, valoriser et promouvoir ce travail en leur octroyant le statut de « travailleurs environnementaux » et en respectant leurs droits. La priorité devrait être donnée également aux récupératrices-eur-s de déchets dans les contrats de gestion des déchets solides, comme on le voit dans des pays comme l'Inde, la Colombie et le Brésil.
Cette nouvelle étude souligne également que malgré la précarité et le risque de la maladie, une plus grande menace préoccupe davantage les récupératrice-eur-s.“ Notre plus grande peur aujourd’hui c’est le projet de transformation de la décharge, PROMOGED. Nous sommes les premièr-e-s concerné-e-s et pourtant nous n'avons jamais été intégré-e-s à ce projet qui avance sans nous. Nous réclamons notre intégration, notre juste place dans ce projet, c’est l’avenir de nos emplois et de nos familles qui est en jeu” alerte Pape Maodo Ndiaye, porte parole de l’Association Bokk Diom qui représente les récupératrice-eur-s.
Une autre étude récente menée par WIEGO avec le LABOGEHU de l'Université de Dakar a dénombré plus de 1600 récupératrice-eur-s travaillant sur la décharge Mbeubeuss –la décharge la plus grande d’Afrique de l ́Ouest2.
La crise de la Covid 19 a été un véritable catalyseur des problèmes préexistants. « Les récupératrice-eur-s. restent marginalisé-e-s et sont malgré leur rôle capital, les laissés pour compte de la société sénégalaise. Dans le contexte actuel de mobilisation sociale, une prise de conscience de la société tout entière est nécessaire. Côté politique, si l’on peut saluer dans son discours du 8 mars 2021, l’initiative du Président Macky Sall qui annonce une réorientation des allocations budgétaires pour soutenir aussi le secteur informel, il faut alerter sur le fait que tous les travailleuse-eur-s informel-el-s ne sont malheureusement pas reconnus et par conséquents intégré-és et potentiels bénéficiaires de ces mesures et de la relance de l’économie aujourd’hui » explique Adama Soumaré, Représentant de WIEGO à Dakar.
A la veille du discours du Président attendu à l’occasion de la fête nationale, les travailleuse-eur-s informel-el-s parmi lesquel-le-s récupératrice-eur-s attendent un appui urgent de la part du Gouvernement et leur inclusion effective au projet PROMOGED et un accès prioritaire aux contrats de gestion de déchets, des engagements indispensables pour plus de justice sociale afin de pouvoir vivre dignement et en cohésion avec l’ensemble de la société sénégalaise.
Contact presse : Claire Le Privé +221 78 140 47 93 claire.leprive@gmail.com
Des portes-paroles sont disponibles en wolof et en français. Des photographies peuvent être transmises sur demande.
Notes aux rédactions :
- 95% de l'emploi non-agricole au Sénégal est informel3, avec une présence forte de femmes et des jeunes. , la plupart des travailleuse-eur-s qui œuvrent dans l’économie informelle le font dans des conditions précaires et sans avoir accès aux protections traditionnelles liées au travail, comme la sécurité sociale, le droit de défendre leurs intérêts ou l’inclusion dans les prises de décisions4.
- L’intégralité des résultats de l’étude menée à Dakar est consultable sur le site internet de WIEGO : https://www.wiego.org/publications/la-crise-de-la-covid-19-et-leconomie-informelle-recuperatriceeurs-de-dechets-en-emploi
- La crise de la COVID-19 et l’économie informelle est un travail collaboratif entre le réseau mondial Femmes dans l’emploi informel: globalisation et organisation (WIEGO, par son acronyme en anglais) et des organisations partenaires locales représentant des travailleuse·eur·s de l’informel dans 12 villes : Accra, Ghana ; Ahmedabad, Inde ; Bangkok, Thaïlande ; Dakar, Sénégal ; Dar es Salaam, Tanzanie ; Delhi, Inde ; Durban, Afrique du Sud ; Lima, Pérou ; Ville de Mexico, Mexique ; Pleven, Bulgarie ; New York, États-Unis ; et Tirupur, Inde, avec l’appui du Centre de recherches pour le développement international (IDRC/CRDI), Canada. Cette étude longitudinale à méthodes mixtes comprend des enquêtes auprès des travailleuse·eur·s de l’informel et des entretiens semi-structurés avec des leaders de ces travailleuse·eur·s et d’autres informatrice·eur·s clé·e·s, menés par téléphone. La deuxième phase sera effectuée dans le premier semestre de 2021. Pour en savoir plus,visitez https://www.wiego.org/etude-sur-la-crise-de-la-covid-19-et-leconomie-informelle-
- Bokk Diom est une organisation locale de récupératrices-teurs de Mbeubeuss qui est née d’une volonté dans les années 1990 pour lutter contre la stigmatisation, l’exclusion et la délinquance. Dans cette optique Bokk Diom a travaillé avec des organisations et institutions (entre autres, avec ENDA Graf, BIT, WIEGO, Autres terres de Belgique et la Mairie de Malika) dans des projets et programmes pour renforcer les capacités de ses membres, la prise en charge des questions de santé des récupératrices-teurs, le renforcement institutionnel de l’organisation et la lutte contre l’exploitation des enfants au travail. Actuellement Bokk Diom compte à peu près d’un millier de récupératrice-eur-s membres avec un bon renforcement organisationnel et une bonne représentation des femmes dans les instances de décision de l’organisation.
- WIEGO est un réseau mondial consacré à promouvoir l’autonomisation des personnes travailleuses démunies – en particulier des femmes – dans l’économie informelle afin de garantir leurs moyens de subsistance. Nous considérons que toutes les personnes travailleuses doivent avoir les mêmes droits, opportunités économiques et protections, ainsi qu’être en mesure de s’exprimer sur un pied d’égalité. Pour favoriser le changement, WIEGO vise à améliorer les statistiques et élargir les connaissances sur l’économie informelle, à créer des réseaux et renforcer les capacités des organisations des travailleuses et travailleurs de l’informel et, en collaboration avec ces réseaux et organisations, à influencer les politiques locales, nationales et internationales. Visitez www.wiego.org
1 Cette recherche a été soutenue par le Centre de recherche pour le développement international (CRDI), du Canada.
2 WIEGO, Réduction des déchets dans les villes côtières grâce au recyclage inclusif (ReWCC) : Étude de base sur les récupératrice-eur-s de la décharge de Mbeubeuss. Manchester : WIEGO, 2019, p. 2.
3 Enquête Régionale Intégrée sur l’Emploi et le Secteur Informel, 2017.
4 D’après le Diagnostic de l´économie informelle au Sénégal élaboré par le Haute Conseil de Dialogue Sociale (HCDS) et le Bureau International du Travail (BIT).