Tania Espinosa Sánchez et Yuleina Carmona de WIEGO nous racontent le succès de la campagne Lxs Rifadxs à Mexico, qui a aidé les habitant·e·s de la ville à voir les récupératrice·eur·s de matériaux sous un nouvel angle, plus positif.
Nous travaillons depuis longtemps avec les récupératrice·eur·s de matériaux ici à Mexico et nous avons fait différentes choses pour rendre visibles leurs conditions de travail. Par exemple, nous avons organisé une exposition de photos dans un musée et nous avons élaboré un rapport, portant sur les conditions relatives aux droits humains des récupératrice·eur·s de cette métropole, que nous avons ensuite présenté à la Commission des droits humains de Mexico.
Puis, pendant la pandémie, nous avons lancé la campagne Lxs Rifadxs de la Basura [Les intrépides des déchets]. Dans huit courts-métrages, des récupératrice·eur·s de matériaux ont montré leurs conditions de travail et les défis auxquels elles·ils font face dans leur travail. Car durant la pandémie, elles·ils n’ont cessé de travailler, sans interruption. À l’heure où tout le monde s’isolait chez soi, les récupératrice·eur·s étaient dans les rues, nettoyant la ville et enlevant les déchets ménagers, mais sans être reconnu·e·s comme des travailleuse·eur·s essentiel·le·s.
À notre avis, c’était l’occasion idéale pour montrer qu’elles·ils sont en effet des travailleuse·eur·s essentiel·le·s et pour faire connaître leurs conditions de travail pendant la pandémie. Surtout, parce que le gouvernement de la ville de Mexico n’a mis en place aucune politique pour les protéger et nombre d’entre elles·eux mourraient.
La campagne a connu un grand succès, car elle a attiré l’attention des médias. C’est le titre de la campagne – difficile à traduire de l’espagnol, mais décrivant les récupératrice·eur·s de matériaux comme des super-héros·ïnes urbain·e·s – qui a suscité une attention particulière de la part du grand public.
Les gens nous ont immédiatement dit qu’elles·ils n’avaient aucune idée des difficultés rencontrées par les récupératrice·eur·s. Les vidéos ont permis de faire comprendre leur situation d’une manière très accessible et à un public plus large.
Parallèlement, nous avions tenté par différents moyens d’attirer l’attention du gouvernement, mais sans réponse. Il nous semblait donc qu’une stratégie différente s’imposait : sensibiliser d’abord le grand public, car le travail des récupératrice·eur·s de matériaux nous profite à toutes et à tous. Nous avons décidé de le faire par le biais d’un documentaire, qui est devenu la deuxième phase de la campagne Lxs Rifadxs. L’idée était d’essayer d’atteindre le gouvernement par l’intermédiaire de l’opinion publique. Nous avons également créé une bande dessinée et mis à jour le site web de la campagne afin d’offrir des outils plus visuels permettant aux gens de comprendre la situation des récupératrice·eur·s de matériaux dans la ville.
Nous avons eu recours aux réseaux sociaux pour diffuser le matériel et atteindre un public plus large. Notre présence sur Instagram, TikTok et Facebook nous a permis de nous positionner sur une scène très différente. En particulier sur Instagram, nous avons reçu beaucoup de réactions de personnes qui ne savaient pas que la plupart des personnes qui ramassent les déchets sont classées comme des « bénévoles » par le gouvernement. Les gens voient ces travailleuse·eur·s en uniforme dans les rues et supposent qu’elles·ils reçoivent un salaire.
On les qualifie de bénévoles, ce qui laisse entendre que les récupératrice·eur·s de matériaux choisissent de ne pas se faire payer, mais la réalité est tout autre. C’est le gouvernement qui les considère comme des travailleuse·eur·s bénévoles, une excuse qu’il utilise pour ne pas leur accorder de salaire, de contrat ou d’autre droit du travail. La relation de travail entre le gouvernement et les travailleuse·eur·s n’est tout simplement pas reconnue.
Nous avons également contacté des influenceuse·eur·s des réseaux sociaux, des personnes intéressées par le sujet, pas nécessairement des spécialistes, mais des personnes qui ont travaillé un peu autour de cette problématique. Via Instagram, par exemple, @Citizen4Sustainability, qui compte plus de 35 000 abonné·e·s, est entré en contact avec nous. Certain·e·s souhaitaient assister à la projection du documentaire et au lancement de la bande dessinée. D’autres nous ont tendu la main pour nous proposer de projeter notre documentaire dans leur espace, par exemple, une école où il a été présenté lors de la semaine de l’art.
Récemment, un·e ancien·ne récupératrice·eur de matériaux travaillant aujourd’hui à la « Casa de Cultura Luis Spota », un centre culturel situé dans l’arrondissement de Xochimilco, à Mexico, nous a fait part de leur souhait de présenter notre documentaire et notre BD dans leur galerie, qui reçoit beaucoup d’écoles. Ce serait un excellent moyen d’aborder ce sujet avec les enfants.
Nous avons également affiché le logo et les réseaux sociaux de la campagne sur une benne à ordures ménagères qui circule dans la ville. Par conséquent, les gens sont venus nous voir en disant : « Je viens d’entendre parler de vous et j’apprends que beaucoup de récupératrice·eur·s de matériaux travaillent sans salaire ». Nous avons financé l’intervention sur cette benne, mais, par la suite, deux autres camions circulaient avec le même logo sans que nous le sachions. C’était formidable, car elles·ils l’ont peint de leur propre gré et nous ont envoyé des photos.
Il y a eu un nombre inattendu de commentaires et de réactions en faveur des travailleuse·eur·s et de davantage de sensibilisation à cette question. C’est très encourageant, car les commentaires et les réactions que nous recevons ne sont pas d’habitude aussi positifs.
Pour les récupératrice·eur·s, et c’est peut-être un des résultats les plus importants de la campagne, le fait de se voir à l’écran a été très profond et émouvant. Il y en a un·e qui nous a dit : « Ça prouve que je n’ai pas été un·e fainéant·e toute ma vie comme le dit ma famille, ça montre à quel point j’ai travaillé dur ». Au fur et à mesure que la campagne se développait, nous avons vu la confiance des travailleuse·eur·s s’accroître.
Un autre fait marquant de cette campagne sera la manifestation prévue pour le 19 avril [2023], visant à donner encore plus de visibilité aux récupératrice·eur·s de matériaux. Elles·Ils se rassembleront, rue Madero, une rue piétonne du centre-ville, et porteront les gros sacs utilisés pour collecter et trier les déchets, mais avec des messages tissés dessus. Puis, elles·ils iront se manifester jusqu’au bureau de la maire, à l’hôtel de ville, et tiendront une conférence de presse pour diffuser des données que nous sommes en train de préparer et qui mettent en évidence les incohérences dans les dépenses publiques en matière de collecte des déchets, par exemple en ce qui concerne l’équipement, à ce jour inadéquat, des récupératrice·eur·s de matériaux.
Entre-temps, nous continuerons à projeter le film, à répondre aux internautes sur les réseaux sociaux et à parler aux médias. Nous saisirons toutes les occasions pour faire passer le message.
Photo du haut : Un·e récupératrice·eur de matériaux en train de lire la bande dessinée créée pour la campagne Lxs Rifadxs. Crédit photo : Angie Queupumil
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