Dans cette interview, la coordinatrice de StreetNet International, Oksana Abboud, explique comment et pourquoi les vendeuse·eur·s de rue se sont organisé·e·s et quels sont ses espoirs pour le monde du travail.


La vente de rue est populaire, visible et utile depuis plus de 100 ans, mais jusqu’à récemment, les vendeuse·eur·s de rue n’étaient pas rassemblé·e·s en organisations de base, syndicats ou associations. La nature du travail ne permet pas aux travailleuse·eur·s de rester au même endroit, surtout si nous parlons de l’espace public comme lieu de travail. Cela a été un facteur important dans la volonté de s’organiser. Il y avait aussi d’autres préoccupations : le manque de reconnaissance des vendeuse·eur·s de rue en tant que travailleuse·eur·s qui contribuent énormément aux économies nationales, le manque de respect à leur égard en tant qu’êtres humains et, dans certains pays, leur stigmatisation comme étant des nuisances ou même des criminel·le·s.

L’année 2022 marque le 20e anniversaire de StreetNet depuis sa création à Durban, en Afrique du Sud, et nous en éprouvons une grande fierté. Bien sûr, WIEGO a joué un rôle clé dans la création de StreetNet. Les leaders de WIEGO ont reconnu à l’époque le besoin urgent d’un cadre international pour unir et soutenir les vendeuse·eur·s de rue du monde entier. WIEGO nous a tendu la main et nous a soutenu·e·s dans la création d’une alliance mondiale de vendeuse·eur·s de rue et de marché : StreetNet International.

Nous assistons à un développement accéléré des technologies et, au cours des 25 prochaines années, cela entraînera de grands changements dans le monde du travail. Je ne vois pas le métier de vendeuse·eur de rue disparaître : la révolution technologique entraînera la disparition d’un plus grand nombre d’emplois formels, ce qui signifie que l’informel continuera à se développer. Nous devrions nous préparer à tirer parti de cette réalité inévitable en adoptant de nouvelles stratégies et approches. Nous pourrions assister à l’intégration des vendeuse·eur·s de rue dans les plateformes numériques, ces travailleuse·eur·s trouvant leur niche en utilisant la technologie au service de la durabilité, du développement et des moyens de subsistance.

Je considère qu’il pourrait y avoir un changement, notre secteur obtenant davantage de reconnaissance et de respect pour les droits humains et les droits des travailleuse·eur·s, ainsi que pour leur rôle d’acteurs économiques.

La vente de rue est bien plus qu’une contribution essentielle aux économies locales et nationales, elle fait partie de l’infrastructure, la culture et même l’art de rue des villes. Les vendeuse·eur·s de denrées alimentaires en sont un bon exemple. Non seulement elles·ils fournissent de la nourriture et des produits alimentaires aux personnes démunies en milieu urbain, mais elles·ils préservent et pérennisent les traditions et la culture de la nation. Elles·ils cuisinent devant vous, font preuve d’un savoir-faire et de recettes incroyables et déploient toute la délicieuse cuisine que nous aimons et que nous aimons retrouver.

StreetNet est en pleine croissance : le réseau étend ses frontières et attire de nouveaux membres. WIEGO nous a mis en relation avec des organisations et des institutions dans le même état d’esprit, offrant ainsi un espace pour construire une solidarité internationale entre tou·te·s les travailleuse·eur·s de l’informel. Nous nous servons des recherches et des bases de données de WIEGO dans notre travail de plaidoyer.

Avec le soutien de WIEGO, une des affiliées de StreetNet au Liberia a réussi à faire passer un projet sur le renforcement des capacités et le plaidoyer en faveur de l’espace public comme lieu de travail ; elle a même réussi à signer un mémorandum d’accord avec le conseil municipal local.

Dans les 25 prochaines années, j’aimerais voir WIEGO développer ses formations, par exemple, à travers son École. WIEGO dispose d’une grande expertise et peut former les travailleuse·eur·s de l’informel aux manières de s’organiser et de mener des négociations. Parallèlement, nous nous rassemblerons pour le bien de l’ensemble de nos groupes de membres, à savoir les travailleuse·eur·s de l’informel.

Faire partie d’un réseau mondial pour les personnes vulnérables, pour celles qui ne sont pas reconnues, d’un réseau aussi respecté, avec un degré d’organisation élevé, cela compte beaucoup. WIEGO nous donne de la reconnaissance et de la confiance au niveau international et à d’autres niveaux. WIEGO nous rend autonomes et nous rassemble davantage. Nous nous sentons membres d’une grande famille.

Sur un plan personnel, Oksana – qui, avec ses deux filles, a dû fuir sa maison en Ukraine après l’invasion de celle-ci par la Russie – a dit qu’elle appréciait toute l’aide qu’elle avait reçue des gens de WIEGO. « WIEGO a un côté très humain... Je ne me sens pas seule, ce qui est très important, et dans ce sens, je pense que nous sommes sur la bonne voie avec notre humanité. »

  • Ce texte a été adapté pour des raisons de brièveté. Dans le cadre des célébrations de notre 25e anniversaire, nous sommes en train de dresser le profil des membres institutionnels de WIEGO : syndicats, coopératives et associations de travailleuse·eur·s de l’informel qui sont actifs au sein de WIEGO.

Photo du haut : La coordinatrice de StreetNet International, Oksana Abboud, à la Convention de l’OIT, à Genève, en 2019. Crédit photo : Sofia Trevino